Puisqu’il est aussi enseignant, aujourd’hui à la retraite, Jean Jacques Taïb s’est forcément intéressé à la transmission de la musique. Il nous raconte l’une de ses initiatives au lycée Pothier. Et nous livre ses réflexions sur les conditions du jazz, son public et ses lieux de vie.
Propos recueillis par Bernard Cassat

Jean-Jacques Taïb. Photo JJT
Jean Jacques Taïb a été professeur d’histoire et jazzman en parallèle. « Sans privilégier l’un ou l’autre, mais en regrettant de ne pas pouvoir m’adonner avec la même force à l’un et à l’autre. Avec parfois des moments difficiles. Quand je jouais à Chartres, par exemple. Je rentrais à 6h du matin, en bus… Une douche, s’occuper des enfants et aller au lycée…Je l’ai fait des années. Je regrette rien, et si c’était à refaire, je le referai, évidemment. »
Professeur d’histoire au lycée Pothier, son proviseur l’a un peu provoqué. « Je suis arrivé au lycée en 88. Je me revois toujours dans la salle des profs. Je bougonnais, comme souvent, dans mon coin. Jacques Bonnin, le proviseur, qui était un type merveilleux, un patron dynamique, me dit en passant : « Taib, ce serait bien que tu fasses des concerts !». Bon. On a commencé à en faire une fois par mois, dans l’auditorium, avec des gars invités. Ensuite, il me dit « Ce serait bien que des élèves participent. Que tu fasses un grand orchestre. » Donc, il m’a cherché, il m’a trouvé. »
C’est ainsi que s’est installé le Big Band Poth.

Le Big Band Poth dans la cour du lycée. Photo archives personnelles JJT.
« Il y avait un atelier entre midi et deux, et le dimanche, les musiciens du big band étaient convoqués. On répétait au lycée. Mon idée, c’était de mélanger ces jeunes ados avec des professionnels. Donc j’en invitais. J’avais déjà plein d’ouvertures dans le milieu du jazz en France, donc… On a fait venir Daniel Clavel, Jean-Luc Ponty, Didier Lockwood, qui commençait à installer son école. On a eu plein d’invités prestigieux, et ça cimentait l’orchestre. Ca donnait envie d’aller plus loin. Il y avait des élèves des classes préparatoires et du lycée. Ils arrivaient par le bouche à oreille. Je prenais tout. S’il y avait 10 flutistes, il y en avait 10, pareil pour les saxos, je n’excluais personne. Ca a marché de 1990 à 2005. »

Si on lui demande s’il y a eu des vocations qui se sont révélées chez ces jeunes musiciens, Jean Jacques Taïb botte en touche. « Je n’aime pas suivre les gens comme ça. Après, ils étaient grands, c’était à eux de faire leur route. Mais oui, quelques Tricot, ou Lisa Cat-Bero, par exemple. »
L’idée d’ouvrir tout cela était tellement forte que Jean Jacques résume une fois de plus sa position. « Le décloisonnement peut être vraiment une réussite. On aurait eu des professionnels avec des profs classiques de lycée, on aurait développé ce genre d’atelier et fait un festival de la jeunesse. Une manière de transmettre, de vivre et faire vivre la musique. »
Aujourd’hui, le jazz est mal en point
« Le jazz n’a jamais eu une ligne de développement régulière. Aujourd’hui, on est dans un gros repli. Avec paradoxalement des jeunes qui sortent des écoles. C’est devenu une musique de recherche, parfois très pointue. Avec des musiciens d’un très haut niveau. Dans les années 70-80, on trouvait encore des types qui faisaient ça à l’oreille. Tandis que maintenant, ils sont tous passés par les écoles, peut-être même trop.. Et le niveau n’a cessé de monter.
Le public a vieilli avec le jazz. Dans les années 70, le rock a pris les jeunes. Mais surtout, il faudrait le transmettre, mais pas intellectuellement. Les élèves qui venaient au big band me disaient, c’est une musique de vieux. Bizarre. Qu’est que c’est une musique de vieux ? Pour eux, c’étaient un autre univers, un autre monde.
Tout ça sur fond de confusion esthétique notoire. On appelle jazz tout et n’importe quoi. Pourquoi pas, mais c’est un peu dérangeant quand tu vois un artiste de variété dans un festival de jazz, ou des musiciens dits classiques dans un endroit qui n’en a pas la vocation.
Ces questions ne devraient pas nous empêcher de militer pour le jazz. O’jazz faisait cela. Je rêve des anciens cafés-concerts, ouverts à toutes les musiques, y compris au jazz. Les lieux n’arrivent plus à en vivre. Il y a tellement de sollicitations. Et le rapport à la musique est tellement différent, la manière d’écouter. Ouvrir un café-concert, comme au 19e, avec le jeudi classique, vendredi, rock, samedi chanson française, dimanche jazz. Mais ne faire que du jazz, ca ne semble plus possible. »

Ce constat amer le ronge mais ne l’abat pas. Jean Jacques continue à jouer partout où c’est possible, avec Ronald Baker par exemple, avec qui il joue depuis longtemps. Ou à Orléans, dans des formations diverses. Ou à Déols, au Jazz Club du Berry, où il sera le 3 novembre. Nous en reparlerons. Membre de l’Académie du Jazz, il participe à la réflexion sur cette musique qui le tient au corps. Mais surtout il joue, parce qu’il aime ça, parce que c’est là que ça se passe, quand son souffle crée des notes qui montent avec un plaisir non dissimulé.
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