Le sucre à Orléans, toute une histoire ! #1

Au XVIIIe siècle, grâce à son activité fluviale directement liée aux colonies françaises d’Amérique, Orléans devient la capitale européenne du sucre. Une quarantaine de raffineries empestaient la ville pour approvisionner les grandes tables de toute l’Europe faisant la prospérité de grandes familles orléanaises.

Par Philippe Voisin


A l’heure où la cité ligérienne prépare dans la joie et la bonne humeur son Festival de Loire en rassemblant magnifiquement, tel un musée vivant, plusieurs siècles de l’histoire de la batellerie, le passé industriel d’Orléans cherche encore sa place dans la mémoire collective. En fait, cette histoire n’est que l’extrémité continentale de l’axe marchand Saint-Domingue-Nantes-Orléans !

Illustration de “Candide” Voltaire 1759


Mais comment le sucre est-il devenu l’or blanc ?


L’Histoire du sucre aux Antilles françaises est liée à l’Histoire des juifs Portugais. L’ordre d’expulsion prononcé à leur encontre par le roi Manuel 1er en 1496 les pousse hors du continent européen. Ils trouvent un refuge temporaire aux Açores ou à Madère où le sucre de canne était déjà produit (1). Après leur conversion fictive ou réelle, ils sont encouragés par le roi du Portugal à s’installer au Brésil pour développer la filière sucre. Ils y sont protégés, ils construisent des synagogues puis sont chassés de leurs comptoirs installés sur toute la partie portugaise du continent sud-Américain par l’Inquisition. Beaucoup choisissent alors les Îles des Caraïbes pour émigrer. Ils sont accueillis à la Barbade par les Anglais et à la Martinique par les français.
Dans les annales du Conseil Souverain de la Martinique, on peut lire : « On est redevable aux Juifs des premiers établissements (du sucre) de la colonie. Ce fut Benjamin Dacosta qui introduisit la culture du sucre en 1650 (2) ».


Les Juifs… et les Jésuites


À partir de cette date, les Antilles françaises connaissent alors un bouleversement radical. Dès 1652, les jésuites exploitaient à Saint- Pierre de la Martinique une grande sucrerie avec une trentaine d’esclaves. Un aventurier de Hambourg installe chez eux le premier moulin à eau et des chaudières. Les Jésuites en Martinique et les Carmes en Guadeloupe étaient très actifs sur le marché des esclaves à la descente des bateaux transatlantiques.
À sa mort en 1660, le frère hospitalier gouverneur des Antilles De Poincy possédait 2 habitations de 500 ha chacune à Saint Christophe. La technique de broyage des cannes plus productive des hollandais et des juifs portugais chassés du Brésil s’impose progressivement. Pendant ce temps, la demande d’or blanc en Europe explose. En volume transporté, le sucre dépasse largement le tabac.
Mais deux décennies plus tard, les juifs deviennent officiellement indésirables dans la France catholique. L’intendant Bégon doit faire exécuter l’ordre royal de sortir les juifs de l’étendue des Îles Françaises d’Amérique.
« Ils vécurent paisiblement et ne furent (pas) inquiétés jusqu’au 2 mai
1684. » (2)


Les dominicains aussi


Le Père Labat est décrit dans la plupart des archives comme père missionnaire dominicain. Mais on le retrouve costumé en colonisateur, militaire, planteur, esclavagiste, botaniste, écrivain… dans les récits et les gravures. C’est un personnage incontournable au tournant du XVIIIe siècle. Au cours de ses diverses activités, il est vraisemblable qu’il ait été en contact avec les migrants venus du Brésil ou les marchands hollandais. L’Histoire pas toujours officielle présente la technique artisanale de raffinage du sucre par distillation successive comme la méthode du père Labat. Aujourd’hui, un rhum réputé porte son nom à Marie-Galante.


Un raffinage dangereux et polluant


La méthode sera ensuite régulièrement améliorée. (3) On retrouve des descriptions techniques dans les notes des orléanais Ravot et Delaveau. Les académiciens et encyclopédistes qui s’intéressent à cette industrie florissante viennent à Orléans pour réaliser leurs planches et leurs rapports. Thomas Aignan Desfriches, dessinateur officiel, est l’auteur de gravures destinées à expliquer les principales étapes de l’activité industrielle conservées au Conservatoire des Arts et Métiers.

Cependant, malgré les progrès techniques, le raffinage reste une industrie dangereuse et polluante. Des incendies violents détruisent dans le centre-ville les installations chez Guinnebaud, Culembourg, Boislève et le plus marquant chez Jogues en 1734.


L’axe Saint-Domingue-Nantes-Orléans


Dès le début du XVIIe siècle, les industriels des Provinces-Unies sont des experts réputés dans la transformation de la canne. On attribue l’installation de la première distillerie orléanaise à la famille Vandebergue venue de Hollande vers 1640. Un siècle plus tard, dans le quartier de Recouvrance, la même entreprise familiale s’étend sur 3000 m2. Par le jeu des alliances matrimoniales, le gâteau sucré se concentre dans les mains que quelques familles, les Colas Desfrancs, Desfriches, Ravot, Villebourré, Crignon… qui sont à la fois raffineurs et négociants. Certaines familles orléanaises apparaissent dans les actes notariés et dans les archives des armateurs négriers à Nantes : preuves de leur appartenance à ce réseau commercial transatlantique et de leur implication dans l’ignoble trafic humain.

Sources
1) Les juifs des Antilles ou l’histoire du sucre par Guershon Nduwa
2) Annales du Conseil Souverain de la Martinique
3) Le goût de l’or blanc de Maud Villeret

A lire aussi: La Loire autrement : quand Orléans sentait le sucre

Commentaires

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  1. Le commerce du sucre a rapporté beaucoup à quelques familles orléanaises encore présentes aujourd’hui, grâce à l’esclavage… C’est sans doute pour cela que ce pan de l’histoire orléanaise n’est pas dévoilé au grand jour. Pas de monument ni de plaque pour honorer ces esclaves qui ont fait la fortune d’une partie de la bourgeoisie orléanaise, la discrétion est de mise!

  2. https://www.regaindelecture.com/product/LES-GRAINES-DU-CHANGEMENT

    Six plantes : la quinine, le sucre, le thé, le coton, la pomme de terre, et la coca, exploitées par l’homme par besoin ou cupidité, ont changé le cours de l’histoire et ainsi influencé le destin de millions d’êtres humains.

    Cette thèse, que défend ici l’historien et journaliste Henry Hobhouse, nous entraîne dans un éblouissant voyage à travers l’espace et le temps. De l’esclavage sucrier et cotonnier à la guerre de l’opium, en passant par les grandes vagues d’immigrations irlandaises, il nous révèle ce que le monde d’aujourd’hui doit à ces six plantes.

    The Sunday Telegraph : Difficile de surpasser ce livre extraordinaire.

    The Spectator : On ne peut s’empêcher d’admirer et d’apprécier la compagnie d’un homme qui nous présente une vue si globale et innovante de l’histoire ! Les Graines du changement ouvre l’esprit.

    The Guardian : Les liens intelligents qu’il fait entre disciplines historiques sont à la fois audacieux (c’est la marque de leur validité) et finalement évidents.

    The Times : Ce livre bourré d’informations nous propose une approche inédite de l’histoire du commerce.

  3. En réalité Orléans constituait l’une des pointes du « commerce triangulaire «  par son industrie du textile qui servait de monnaie d’échange sur les côtes africaines ; les esclaves qui avaient survécu aux traversées enchaînées à fond de cale servaient ensuite dans les plantations appartenant notamment à ces « armateurs « orléanais qui finissaient de récolter les dividendes de leur ignominie dans les raffineries de leur bonne ville .
    Tout ceci a été montré dans une remarquable exposition -mais curieusement ce n’était pas à Orléans , c’était au musée de la marine de Loire à Chateauneuf …

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