Le sucre à Orléans, toute une histoire ! #2

Blanc mangé coco (1)

Suite de notre série consacrée à l’Histoire du sucre : au XVIIIe siècle Orléans s’enrichit pendant que les îles françaises d’Amérique réclament une main d’œuvre toujours plus nombreuse. Cette histoire qu’on ne regarde pas sur les bords de la Loire prend chair dans les récits et les études d’auteurs créoles d’hier et d’aujourd’hui qui inlassablement cherchent dans leurs plaies la source de leurs malheurs et la beauté de leurs sentiments.

Par Philippe Voisin

Dans l’arc antillais, les fougères arborescentes de la forêt tropicale qui enveloppent les mornes tristes ont gardé les secrets des Noirs Marrons et des Arawaks (2) que les chiens enragés des z’habitations pourchassaient. Les fuyards tentaient d’échapper à leur funeste destin scellé par les colons blancs qui faisaient régner l’ordre nouveau de la canne à sucre, du café et de l’indigo. Les fantômes hantent encore les norias rouillées et les murs noircis des anciennes plantations. Les quimbois (3) des derniers prêtres vaudous épargnés par la fureur des jésuites, ne les apaisent pas. Les fantômes sont encore là.
La tragédie de la déportation des populations africaines ne cicatrise pas. Les antillais brulent Vaval (4) et trempent dans ses cendres la plume de leur amertume.

 

Statue de Toussaint-Louverture lisant la Constitution de 1801 par Ousmane Sow dans la cour d’entrée du Musée du Nouveau Monde à La Rochelle.
Photo @PV

L’arbre du voyageur

Depuis les années 70, la lutte pour la reconnaissance de l’identité antillaise s’impose dans la littérature. Joseph Zobel (Rue Cases-nègres), Edouard Glissant (Le discours antillais), Raphael Confiant (Eloge de la créolité), Patrick Chamoiseau (Texaco), Maryse Condé (Moi tituba sorcière), Ina Césaire (Zonzon tête carré), Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs) ont suivi le chemin des flamboyants ouvert par Aimé Césaire.
Dans toute la littérature de l’illustre poète de la négritude, théâtre, essais, romans, on a un peu oublié le « Toussaint-Louverture, la Révolution française et le problème colonial », paru aux éditions Présence Africaine en 1961. C’est un portrait qu’il est bon de redécouvrir. Il s’empare sans concession du héros de l’indépendance haïtienne. Oui, Césaire est aussi un historien que les sociétés académiques ont ignoré. Il décrit Toussaint- Louverture qui brandit la déclaration des Droits de l’Homme mais aussi le chef de la révolte qui joua la guerre des Mulâtres contre les Noirs. C’est ça Césaire qui éclaire.

Comment ne pas citer cet autre monument de la littérature francophone à la peau noire : Dany Laferrière, l’académicien amoureux (Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer) qui déclarait quand son pays brûle, « les flammes des pneus et les tirs de mitraillette en Haïti ne doivent pas cacher la forêt des femmes lumineuses »
Il vient nous offrir un livre qui, à la fois, ne lui ressemble pas et lui ressemble beaucoup : format poche, couverture jaune, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui un livre graphique qu’il préfère appeler un cinéroman.
« Grand Intérieur rouge » aux éditions Grasset/Centre Pompidou, nous rappelle que les Haïtiens écrivent magistralement avec des images. Dans ce pays qui chaloupait des danses inventées, les balles ne sont pas des notes de musique. Ses personnages Izo et Nox, un chef de gang et un artiste, s’entrechoquent dans ce pays ou l’on donne aux enfants des fusils plutôt que des livres.
« Messieurs dames la société. »
Comment ne pas penser à Mimi Barthélémy, disparue en 2013, comédienne et inlassable conteuse qui raconte aux enfants des histoires d’une Cendrillon, le sourire de ses dents blanches sur sa peau noire ?
« Haïti, la perle nue » éditions Vents d’Ailleurs, est un documentaire écologique, un reportage illustré pour les enfants que même les adultes peuvent comprendre. C’est vrai, l’île de la Gonâve était une baleine, avant. Cric crac ! Et on se délecte de ces contes populaires qu’elle est allée chercher dans les villages de son enfance : Tézin le poisson d’eau douce, Kangio la tortue chanteuse, Malice et son âne, vieux caïman habitent un monde, son île, où la beauté affronte le diable.

L’arbre à pain

Derrière les monstres sacrés de la créolité, une nouvelle génération d’auteurs-chercheurs décomplexés explore les racines de la sociologie caribéenne et produisent des études documentées qui présentent l’énorme avantage de déplacer le point de vue vers l’Amérique. Enfin, pourrait-on dire !
Malcom Ferdinand, 40 ans, est un ingénieur en environnement, docteur en science politique et chercheur au CNRS (5). Il pose un regard noir quand il affirme à propos du chlordécone, que « la France refuse de s’engager dans une démarche décoloniale ». Il explore les articulations entre les questions politiques, l’histoire coloniale et la préservation écologique du monde. Pour lui, le chlordécone est une conséquence directe de « l’habiter colonial », un concept qu’il a développé dans un ouvrage éponyme publié au Seuil en 2024. Ferdinand s’inscrit dans un mouvement international porté notamment par deux militantes féministes, la réunionnaise Françoise Vergès et la politologue d’origine marocaine Fatima Ouassek.
Cécilia Elimort est une jeune professeure d’histoire-géographie. Elle a mené une étude inédite sur l’expérience missionnaire et le fait colonial en Martinique (1760-1790), Ibis Rouge Éditions. L’étude du rôle du christianisme dans la traite des noirs est un sujet polémique, mais le champ de la recherche se développe. Avec une démarche historique non mémorielle, Cécilia Elimort contribue à définir un clergé colonial et à comprendre ses interactions avec la population et les représentants du pouvoir. Elle démontre comment les missionnaires s’appuient sur le Code Noir publié en 1685 pour maintenir la discipline de l’Église apostolique et romaine et convertir les esclaves. La période pré- révolutionnaire est une période charnière pour l’expérience missionnaire alors qu’à Paris, on redéfinit la politique coloniale.
On comprend qu’à travers ces deux exemples de recherches, l’environnement et l’histoire, le fait colonial est immanent. Dans quelques années, il faudra sans doute mesurer l’apport de l’Université des Antilles- Guyane qui nourrit le besoin de savoir des étudiants des colonies françaises d’Amérique sans les obliger à rejoindre les campus métropolitains ou américains. Grâce à l’internet, l’accès aux sources et aux archives n’a plus de frontières. On peut désormais installer son ordinateur sous le manguier.


(1) Blanc mangé coco est un délicieux dessert lacté antillais
(2) Les Arawaks sont des amérindiens originaires d’Amérique du sud qui peuplaient l’arc antillais jusqu’en Floride
(3) Un quimbois est un ensemble de croyances et ses matérialisations symboliques, souvent végétales
(4) Vaval est le roi Carnaval porté en triomphe sur un char pendant le « vidé » (cortège) et brûlé le mercredi des Cendres
(5) Lire Socialter n°66 Oct-nov 2024

Bibliographie
– Dany Laferrière – Grand Intérieur Rouge – Grasset, Centre Pompidou
– Mimi Barthémemy – L’Histoire d’Haïti racontée aux enfants – Mémoire d’encrier
– Mimi Barthélémy – Contes d’Haïti – Livre + CD
– Aimé Césaire – Toussaint-Louverture – Présence africaine
– Olivié Frantz et Raynald Laprise – l’Enfer de la Flibuste – Anacharsis
– Maud Villeret, Le goût de l’or blanc – Presses Universitaires de Rennes
– Malcom Ferdinand – S’aimer la terre, défaire l’habitat colonial – Seuil
– Micheline Cuénin – Mr Desfriches d’Orléans – Les amis des musées d’Orléans
– Céline Pouillon, Myriam Cottias, Virginie Brac – Tropiques amers – M. Lafon
– Myriam Cottias – Esclavage et dépendances – L’Harmattan

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