La réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, très engagée dans son pays, exilée pour travailler, a inventé avec Fatma Hassona, une jeune photographe gazaouie, un dispositif pour montrer de l’intérieur l’horreur de la destruction. Un film difficile, autant visuellement que dans les faits relatés, mais essentiel, poignant, atteignant le cœur de l’horreur.

Fatma Hassona. Photo Rêves d’eau Productions.
Par Bernard Cassat
Après un regard palestinien et un regard israélien sur Gaza, voici une troisième vision de ce conflit qui n’en finit pas, le regard cette fois-ci d’une iranienne, Sepideh Farsi. Ou plutôt celui d’une photographe palestinienne, Fatma Hassona, mis en écran par Sepideh. Elle a déjà réalisé plusieurs films sur son propre pays qui a connu lui aussi une histoire dramatique. Téhéran sans autorisation (2009), sorte de portrait de la ville et de ses habitants, était entièrement filmé au téléphone portable, et en cachette, puisque Sepideh n’avait aucune autorisation. Partie au Caire en 2004 dans l’idée de tourner à Gaza, elle n’a pas pu le faire. Mais a eu le contact de Fatma Hassona, et cette jeune femme l’a retenue.

Fatma et Sedipeh Farsi. Photo Rêves d’eau Productions.
Aguerrie dans des dispositifs ciné compliqués, Sepideh à la fois s’est attachée à Fatma et une amitié est née, mais aussi s’est rendue compte que Fatma pouvait être ses yeux à Gaza, elle, la photographe. A partir de tous leurs échanges vidéo, elle a décidé de fouiller la question qui la taraudait : comment peut-on vivre, comment vit-on quotidiennement dans un tel enfer de destruction ?

L’annonces d’un decès d’enfant de la famille sur le téléphone de Fatma. Photo Reves d’eau Productions.
Du 24 avril 2024 à début novembre de la même année, leurs échanges racontent cela. On n’apprend rien de vraiment nouveau, mais on voit ce que l’on savait. Et surtout, sur le visage de Fatma, dans ces images en visio, on peut lire la détresse mais aussi l’incroyable énergie qu’il faut pour survivre. Cette jeune femme de 24 ans, qui au début sourit tout le temps, est en fait totalement perdue dans cette folie. Est-elle normale, ou est-ce la folie destructrice qui l’entoure qui est la normalité de Gaza ? Lorsqu’elle raconte les 13 personnes de sa famille qu’elle a perdues, elle raconte aussi une sorte de fatalité acceptée, une normalité de la catastrophe. Au fur et à mesure des mois, le sourire se transforme en pleurs. Fatma semble de plus en plus fragile et menacée. Elle ne cesse de changer de lieu, de fuir les bombes qui tombent autour d’elle. Dans les premiers mois, elle sort encore dans la rue pour photographier. Ce qu’elle arrète de faire ensuite, car c’est devenu trop dangereux. La prison de Gaza, comme elle le dit, s’est refermée sur elle, ce qui ne l’empêche pas de parler de ses envies de fuite, de ses rêves de visiter d’autres pays.

Photo prise par Fatma. Capture bande annonce.
Elle envoie à Sepideh ses photos prises dans les rues, des bouts de prises de vue. Magnifiques, on se rend compte que c’est une jeune grande photographe. Sepideh en inclue bon nombre dans le montage, qui passent un peu trop rapidement. Sans doute un réflexe de cinéaste qui a besoin du mouvement. Mais les clichés de Fatma sont poignants. Des ruines, encore des ruines qui deviennent parfois très graphiques. Des gens, beaucoup d’enfants au milieu de ces ruines, du sang. Une main qui dépasse des décombres. Des hommes silencieux.

Une rue de Gaza. Capture bande annonce.
Et puis sur la fin du film, une séquence incroyable. Caméra embarquée dans une voiture, un long et lent périple dans les rues dévastées, mais avec quelques restes de vie au milieu. Des petits vendeurs, des gens qui portent des bidons, d’autres voitures. Après les échanges en visio aux images assez difficiles, les communications qui ne cessent de couper, les faibles débits qui pixellisent, cette séquence d’images de grande qualité complètent le dispositif installé par Sepideh. Qui est difficile, fatigant pour le spectateur, haché, répétitif, mais totalement poignant. Elle s’arrange pour compenser la verticalité de l’écran de téléphone par des fonds visuellement intéressants. Et ne cache rien de ses difficultés de communication. Des instants de news à la télévision donnent les repères factuels de toute cette année.
Monté à temps pour présenter ce film à Cannes 2025 et retenu, Sepideh parle avec Fatma de la possibilité de sa venue pour cet événement. Malheureusement, le 16 avril 2025, une bombe tombe sur son immeuble et tue la jeune photographe juste avant. Elle ne verra jamais le montage. Sa mort donne au film une valeur encore plus dramatique. Et laisse entière la question que se posait Sepideh, comment peut-on (sur)vivre dans un tel enfer ?
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