La pièce About Lambada, créée par le Collectif ÈS, a été présentée au Théâtre d’Orléans mardi dernier. Cette création, à la fois pleine d’espoir et d’ambiguïté, s’inspire du lien entre la chute du mur de Berlin et le tube n°1 en France et en Allemagne à ce moment-là, La Lambada de Kaoma, tous deux symboles d’un véritable changement d’époque.
Scène du spectacle About Lambada, créé et interprété par Martín Gil, Sophie Lèbre, Adriano Coletta, Sidonie Duret, Émilie Szikora et Jeremy Martinez. Crédit photo Romain Etienne.
Par Jeanne Beaudoin.
Deux plateformes sont présentes sur scène, chacune accueille trois danseur·euses. Leurs danses se succèdent, parfois comme une confrontation, parfois comme une réponse. En arrière-plan, des images de la chute du mur de Berlin sont rediffusées. Entre chute et harmonie, cette chorégraphie illustre l’ambivalence de cette période. C’est le début d’une utopie européenne, où les frontières n’existent plus, et à la fois une période d’accélération du capitalisme. Une pièce « pleine de vitalité, de joie de vivre et de danser », s’enthousiasme une personne du public.
Entre frontière du mur et rapprochement des corps
Dans chaque création proposée par le collectif ÈS, on retrouve la volonté de questionner le concept de collectif. Pour About Lambada, « on s’est intéressé à un collectif beaucoup plus large : on s’est questionné sur l’Union européenne », explique Jérémy Martinez. « Ça nous a amené à la chute du mur de Berlin qui était pour nous un évènement majeur, puisqu’il a démarré cette utopie européenne dans laquelle on a grandi : un territoire sans frontières. Cette chute en était le point de départ ». Plusieurs questions se posent alors : quelles musiques écoutaient les gens à l’époque ? Qu’est-ce qui les faisait danser ? Et il se trouve justement que La Lambada était en novembre 1989, en Allemagne et en France, numéro 1 des classements.
Cette performance est donc créée sur deux faits ambivalents : la chute du mur et La Lambada, qui n’ont pas été que joyeux. La Lambada, c’est à l’origine une musique du nord du Brésil, mêlant différents styles musicaux provenant de la région des Caraïbes et associée à une danse de couple sensuelle. Or, cette musique a été reprise illégalement en 1988 par le groupe franco-brésilien Kaoma. Cette reprise non autorisée, créée par le groupe Los Kjarkas, se révèle être un acte de plagiat délibéré. Les frères Hermosa de Los Kjarkas ont par la suite porté plainte, ont gagné et récupéré les droits d’auteur de ce titre.
Cette musique avait ainsi été reprise par Kaoma pour en faire un tube de l’été qui ferait bouger le monde entier. Le groupe s’était même associé à Orangina. « C’était le début du placement de produit et ça a un peu donné la recette du tube de l’été : une stratégie marketing pour faire de l’argent en colonisant une fois de plus un système », poursuit Jérémy. Il y a donc quelque chose de très contradictoire entre ces deux événements. « Ce morceau rassemble les corps et, en même temps, ouvre un début de nouvelle Europe : à la fois utopique », mais aussi avec un modèle de plus en plus capitaliste, conclut-il.
Performance et rapprochement des corps. Crédit photo Romain Etienne.
Deux manières de faire groupe, pour illustrer le collectif
Pour donner corps à cet événement, la pièce est construite avec deux groupes, chacun sa propre manière d’être ensemble. D’un côté « le contact, le fait d’avoir les bassins proches et de l’autre le thème musical. La musique et la danse, chaque groupe s’en empare à sa manière », explique Sidonie Duret. Toute la bande son est tirée de La Lambada, elle illustre un bord et l’autre, sans tomber pour autant dans la binarité, afin de créer des passerelles entre deux mondes.
« Au tout début il y a cette sorte d’exposition où on a chacun une rythmique et une couleur musicale très différente, et en fait tout le long, la musique circule », poursuit Jérémy. La musique, lorsqu’elle est plus rythmique d’un côté, donne une impulsion à l’autre groupe. « Il y a deux manières de faire ensemble, on vit deux créations très différentes », explique Émilie Szikora. « Vous, la musique vous donnait de l’élan, vous aviez tendance à rentrer de manière très organique dans le son, poursuit Sidonie, tandis que nous, on était très soumis, interdépendants de la pulsation ».
Crédit photo Romain Etienne
Les arts martiaux pour mieux représenter la chute
Pour représenter cette chute, les chorégraphes ont eu l’idée de toujours rester en contact, d’être constamment interdépendant. Une contrainte qui amène à « démultiplier les possibilités », explique Jérémy. C’est à partir de là qu’Émilie a souhaité s’inspirer de l’aïkido, art martial japonais : « On est partis de l’idée de la chute, puis on s’est demandé comment être toujours en contact, mais d’un peu plus loin. Et comme j’ai fait de l’aïkido, on a trouvé un autre versant du contact, qui peut aller vers quelque chose de moins lumineux, où on se détache presque ».
Cette chorégraphie se joue des codes, de ce que l’on peut voir habituellement. « Des jeunes nous ont dit que ce n’était pas une chorégraphie. Mais, du coup, qu’est-ce qu’une chorégraphie ? », interroge Jérémy. Il y a effectivement plusieurs manières d’aborder la danse. « Dans toutes nos créations, il y a plein de vocabulaires physiques très différents, mais tout est écrit, même si parfois on a l’impression que c’est juste une action ou un accident. On adore écrire ces choses-là », conclut-il.
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