« Un simple accident », la vengeance efface-t-elle le traumatisme ?

Dans une ambiance de comédie, Jafar Panahi construit une tragédie assez philosophique sur la vengeance après les traumas de la prison. Les conditions iraniennes de tournage l’ont obligé à concentrer ses moyens matériels. Son film va plus loin que le magnifique pied de nez au régime qu’il est aussi. Sa puissance à l’écran bouleverse !

Vahid Mobasseri joue Vahid, l’homme cassé par la prison. Capture d’écran de la bande annonce.



Par Bernard Cassat.


Tourner sans autorisation dans un pays totalitaire implique une simplicité d’équipe, d’équipement et aussi de scénario. Un simple accident est manifestement un film de peu de moyens. Mais Jafar Panahi utilise magnifiquement ces contraintes pour construire un récit dépouillé et fort, qui prend son temps, puisque le temps n’est pas contrôlé par le pouvoir.

Presque tout le film est en extérieur, avec ou dans des voitures, et très souvent la nuit. La volute narrative de tout le début, époustouflante de maîtrise, articule les personnages les uns par rapport aux autres. Tout repose sur la perception de l’image et du son. Le choc de la voiture, l’étrange démarche du conducteur qui sort voir, les gémissements de la bête que l’on ne voit pas. Puis l’affolement du garagiste, avec des plans en contre-plongée dignes de M le Maudit, l’angoisse de la traque sur les visages. On ne sait pas encore qui est qui, mais on voit se nouer sous nos yeux une confrontation primordiale.

Tout s’éclaircit dans le désert. Le garagiste enterre celui qu’il croit être son ancien tortionnaire. Qui se défend par des arguments convaincants. Et le doute s’installe.

Dans le désert, Vahid seul avec sa vengeance. Photo Les Films Pelleas.


Car en fait, c’est de cela qu’il s’agit. Dans un road movie urbain, Jafar Panahi rassemble autour du garagiste Vahid d’autres victimes profondément blessées. Ils vont tous se déchirer l’un l’autre. Personnages détruits par les tortures, ils ont tous des attitudes différentes. Panahi, en philosophe oriental, donne la parole à plusieurs courants de pensées avec lesquelles le caractère de chacun interfère. Vahid, honnête homme amoindri, veut se venger, même si sa première réaction se complique avec le doute sur la personne. Shiva la photographe ouverte, humaniste, souhaite ne pas devenir aussi sauvage que ses tortionnaires. Golrock, qui enfin va mieux après son traumatisme de prison et va se marier, devient violente face à son ancien bourreau. Hamid, le plus radical de tous, le plus sanguin aussi, se demande pourquoi on hésiterait à trucider une telle ordure.

Shiva la photographe, Hamid le sanguin, Golrock la future mariée et Vahid n’arrivent pas à savoir ce qu’il faut faire. Photo Les Films Pelleas.


Ils vont dans le désert s’envoyer leurs souffrances à la figure. Et le tortionnaire, sous sédatif pendant toutes ces discussions, se réveille et finit par reconnaître que c’est bien lui, et qu’il a eu raison, qu’il a encore raison. Il persiste et signe.

Tout cela se passe dans une ambiance de mariage et de naissance. Jafar Panahi, en scénariste accompli, utilise la camionnette de Vahid parfois en corbillard, parfois en ambulance. Les victimes payent avec la carte du bourreau, justifient leurs folles embrouilles en faisant des photos de mariage dans des panoramas douteux. Et les véhicules tombent souvent en panne. Cette tragédie très théâtrale de la vengeance se déroule en pleine ville, dans la vie quotidienne. Beaucoup le soir, dans les lumières des feux rouges. En tous cas, l’esthétique de l’image est parfaite, angoissante ou amusante tour à tour. Car Panahi s’amuse beaucoup avec elle.

Des photos de mariage prétextes. Photo Les Films Pelleas.


Entre la première séquence, dans la nuit, éclairée par les feux de la voiture, à la dernière, dans le rouge des feux arrière de la camionnette, Panahi construit un récit intense mais qui se contente de peu. Les magnifiques acteurs, qui ont, raconte Panahi, pris autant de risques que lui, font passer ce drame historique et humain. La vengeance, même accomplie, ne couvrira pas le bruit des atrocités de l’histoire. Malgré la censure et les conditions risquées (Panahi a déjà fait de la prison, pour son travail et les idées qu’il véhicule), il nous livre un film profondément politique et profondément humain, qui donne naissance à ceux qui arrivent après les atrocités, ceux qui feront l’histoire de demain.


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