L’âgisme : réalité ou mythe social ?

Une nouvelle affection semble toucher notre société. L’âgisme serait cette « maladie psychosociale » qui s’exprime essentiellement de façon inconsciente par une vision négative de la vieillesse et de la personne âgée. Mais qu’en est-il de la réalité de cette anomalie dans notre tissu social que la Semaine Bleue, du 6 au 12 octobre, tente de combattre ?

Deux générations descendantes – Cliché Pixabay


Par Jean-Paul Briand.


« Vieillir est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps » – Sainte-Beuve

L’âgisme est un concept relativement nouveau. C’est un terme inventé par le psychiatre américain Robert Butler en 1969 pour désigner les discriminations fondées sur l’âge. L’âge est une caractéristique qui trouble notre existence. Elle influe sur nos capacités physiques, intellectuelles et dans nos comportements. Tout comme l’éducation, l’argent, la profession, la religion, le genre ou l’ethnie, l’âge façonne, consciemment ou non, nos attitudes, nos décisions, voire nos choix politiques. Pire, la vieillesse entraînerait des comportements individuels et collectifs délétères : l’âgisme.

Qui est jeune et qui est vieux ?

Mais qui est jeune et qui est vieux pour être éventuellement victime d’âgisme ? La perception de la vieillesse s’exprime de façons différentes selon les lieux, les époques et les individus. Si on s’en réfère à Pierre Bourdieu « les divisions entre les âges sont arbitraires /…/ l’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ». Plus une personne vieillit et plus elle estime que le début de la vieillesse est tardif. Les femmes seraient perçues comme âgées plus tôt qu’il ne l’est estimé pour les hommes. Les attitudes négatives envers les vieux semblent beaucoup plus développées en Occident qu’ailleurs. L’image d’une personne âgée dynamique et assumant sa vieillesse est perçue moins âgée que la vision d’une personne du même âge en mauvaise santé ou aigrie. Dans le domaine de la recherche le seuil de 65 ans est le plus souvent utilisé comme indicateur de vieillesse.

La vieillesse synonyme de faiblesse et d’incapacité

Quelle est la nature de cette vision discriminatoire du « vieux » qui constitue l’âgisme ? Alors que certains types de discrimination, tels que le sexisme ou le racisme, ont une visibilité voire une sanction juridique dans notre société, l’âgisme semble être ignoré. Cette lacune est en rapport avec l’importance des processus mentaux inconscients dans la plupart de nos comportements. Pour certains, il existerait un âgisme « bienveillant » et un âgisme « malveillant ». Ainsi céder sa place dans un tram à une personne âgée serait un comportement maternant et condescendant d’âgisme « bienveillant » alors que décider d’un soin chez un malade âgé et lucide sans lui demander son avis est une forme d’âgisme « malveillant » considérant le patient âgé comme un objet. Âgismes « bienveillants ou malveillants » seraient construits sur le préjugé inconscient que vieillesse est synonyme de faiblesse et d’incapacité.

« La vieillesse est un décès par petits morceaux »

Dans la lutte contre l’âgisme le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a diligenté une étude en septembre 2024 sur « L’opinion sur le vieillissement de la population et les personnes de 65 ans et plus ». Ce travail montre que la vieillesse effraie car elle est associée à la maladie, aux problèmes de santé, à la dépendance et à la solitude. Néanmoins les Français interrogés gardent une représentation positive des personnes âgées et refusent d’opposer les plus de 65 ans aux autres générations. C’est le vieillissement qui est rejeté et non la personne âgée. La vision d’une personne âgée nous rappelle sans doute que le processus par lequel nous nous rapprochons de la mort est en route. Cette crainte profonde de la mort construit inconsciemment une vision dérangeante du vieux et peut entraîner son rejet. La discrimination des vieux serait ainsi une forme de défense contre le caractère inévitable de notre mort. Le poète Albert Cohen nous a prévenu : « La vieillesse est un décès par petits morceaux ».

Notre société a l’obligation de valoriser l’avancée en âge

En France il n’existe quasiment pas d’affrontements intergénérationnels. Malheureusement en période de difficultés des décideurs politiques irresponsables créent des conflits entre vieux et jeunes. Il n’y a qu’à se rappeler les propos d’un éphémère Premier ministre qui accusait les « boomers » d’être responsables de l’ampleur de la dette publique. Il est vrai que dans une société où les valeurs économiques de productivité sont primordiales les « baby-boomers », après avoir rajeuni la population, la peuplent aujourd’hui de retraités et de vieux. On exalte les progrès qui allongent l’existence mais « en même temps » on reproche aux plus âgés d’être trop nombreux et de coûter trop cher à la collectivité. Pourtant ce sont essentiellement des retraités qui font vivre les associations et assurent bénévolement une grande partie de la solidarité nationale.

« On est toujours le vieux ou le jeune de quelqu’un » rappelle Bourdieu et personne n’est exempt d’acquérir un jour ce statut de « vieux ». Notre société doit donc s’adapter à l’allongement de l’espérance de vie, valoriser l’avancée en âge et combattre l’âgisme quand il existe.


Plus d’informations autrement :

Veulent-ils une explosion intergénérationnelle ?

Commentaires

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  1. Comment envers soi-même et vis à vis des autres éviter ces jugements à l’emporte pièces concernant l’âge des “pôvres vieux” que des “p’tits jeunes”? Tout simplement se réjouir à chaque date anniversaire de sa naissance du fait qu’on a pu vivre une année de plus et considérer l’âge des autres de même. Qui n’a pas été ému de retrouver au hasard d’une rencontre quelqu’un perdu(e) de vue depuis des années? Cette émotion est l’expression d’un double plaisir l’autre et moi-même sommes (toujours) vivants.

  2. J’aurai 77 ans en janvier prochain, je suppose dans ces conditions que j’entre dans la catégorie des personnes âgées mais quand je viens aux assemblées générales de Magcentre, que je prends un billet au cinéma des Carmes ou que j’assiste à une conférence sur un sujet d’intérêt culturel, j’ai l’impression d’y croiser assez peu de jeunes au point de m’imaginer abusivement que je fais partie des moins âgées des personnes présentes. Avec l’âge, on éprouve quelques douleurs récurrentes, on fatigue plus en montant des escaliers, mais je ne me sens pas vraiment discriminé ailleurs que dans certains discours aussi péremptoires que ridicules sur les plateaux télé ; quand on m’offre un siège dans un transport public parisien ou dans une salle d’attente administrative, c’est généralement le fait de jeunes gens d’origine étrangère, africaine ou moyen orientale, que j’imagine souvent d’arrivée récente parce qu’encore sensibles à la fatigue possible des plus vieux… Le seul moment où j’oublie totalement mon âge, que j’ai même l’impression de rajeunir, c’est sur un vélo, avec la sensation, quand je pédale, sur les rives de Loire ou en Sologne, d’avoir conservé toute ma souplesse, cette impression s’estompe lorsque je suis doublé par un ou une cycliste plus jeune ou que je monte un col en montagne parce que je suis obligé de le faire à faible allure, le cardio ayant un rythme beaucoup moins rapide, mais c’est toujours une satisfaction et une récompense de parvenir au sommet. Avec le temps qui passe, on se rapproche de la mort, on le sait et on y pense, mais si on est en bonne santé, on ressent surtout de la tristesse de devoir laisser des gens qu’on aime, et la beauté des paysages affectionnés bien plus que de la peur du grand sommeil qui nous préservera d’une destruction de la planète que nous promettent un capitalisme implacable et des politiciens toxiques. Je ne crois pas et n’espère pas qu’il y ait autre chose susceptible de venir troubler cet éternel endormissement.

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