Le jeu de massacre de « Nouvelle vague »

Richard Linklater, réalisateur texan cinéphile, a voulu faire éclater son admiration pour Jean-Luc Godard en filmant une reconstitution du tournage de À bout de souffle. Tout y est, mais en faux. Dans des images proches de leur modèle, les personnages « historiques » s’affairent dans tous les sens sans en apporter aucun.

Godard (Guillaume Marbeck) dans les locaux des Cahiers. Photo Jean-Louis Fernandez.



Par Bernard Cassat.


En quoi la fascination d’un cinéaste texan pour Godard peut remplir un film d’une heure trois quarts ? Avec Nouvelle Vague, Richard Linklater tente de nous l’expliquer. En faisant un making of de À bout de souffle, film que le critique des Cahiers du cinéma tourna en 1959 et qui est sorti en 1960. Avec Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo, comme tout le monde le sait.

Comme dans les biopics, la question de la ressemblance des acteurs avec leurs personnages s’est évidemment posée en premier. Linklater choisit de couper la pomme en deux : les acteurs trouvés pour incarner tous ces gens de la Nouvelle Vague sont un peu ressemblants, mais le maquillage ne cherche pas à les rendre copie conforme. Ils évoquent très fortement, et leur jeu, leurs voix font le reste. En plus, Linklater accumule les rôles, introduit tous les personnages des Cahiers du Cinéma, jusqu’à Rossellini, le maître italien que tous les jeunes réalisateurs révèrent. Si bien qu’on a une sorte de jeu de massacre. Chaque fois qu’un personnage apparaît, il y a son nom à l’écran, pour confirmer l’air de famille entre acteur et homme ou femme réel·le. Les cinéphiles reconnaissent, mais s’agacent de la différence qui reste importante. Pour les autres, peu importe. Comme une série de marionnettes, les visages apparaissent, celui-là est réussi, celle-là, bof. Belmondo (Aubry Dullin) à la grande bouche ricanante et à la carrure un peu frêle n’a pas la classe du vrai, Jean Seberg (Zoey Deutch) n’a pas l’intelligence douce du modèle dans les yeux. Godard (Guillaume Marbeck) est finalement assez proche, même dans sa voix si particulière. C’est vraiment le jeu du film, s’amuser à comparer le faux et le vrai.

Belmondo (Aubry Dullin) et Jean Seberg (Zoey Deutch). Photo Jean-Louis Fernandez.


Enfin non. Le plus grand jeu, c’est sans doute l’imitation des idées, des attitudes, des présences de ces marionnettes dans la reconstitution. Et là, le massacre va encore plus loin. Godard devient une sorte de base de données de citations toutes plus erronées les unes que les autres. Et la recherche de l’instant vrai dans le travail de Godard, qui certes était présente chez lui, devient un écran sur lequel se brise la profondeur du vrai Godard, sa brillante intelligence, sa folie créatrice, ses prises de position profondément politiques.

La mort du héros. Photo Jean-Louis Fernandez.


Rien ne transparaît de tout cela. Reste dans Nouvelle Vague un bouffon malicieux, amusant, une sorte de personnage de comédie qui sait qu’il joue à manipuler les autres, non pas pour inventer un autre cinéma, mais pour coller à son image. Truffaut (Adrien Rouyard) assène des vérités implacables sur le cinéma. Rossellini déblatère les clichés du Néoréalisme pour les nuls et Jean-Pierre Melville nous saoule de ses conseils hautains et méprisants. Quant aux acteurs, les caricatures sur l’écran de Linklater sont quand même bien fades par rapport aux modèles.

Godard et Belmondo. Photo Jean-Louis Fernandez.


Nouvelle vague
n’est pas un plagiat, il ne tente pas de se faire passer pour. Ce n’est pas une copie, ni même une vraie parodie, parce qu’il n’y a pas de moquerie. L’imitation est poussée, la photo noir et blanc ressemble. Linklater n’analyse pas le film de Godard ni son véritable travail. La petite séquence sur le montage de À bout de souffle aurait pu être instructive, montrer à l’écran le travail de coupe. Mais non, c’est dit, rien de plus. Sans doute moins intéressant que les lunettes noires et les Boyard Maïs.

Le film est au même niveau que la chanson qui partage son titre, une série de références, de clichés, d’attitudes qui ne prennent de ce dont ils parlent que l’attrait superficiel du public, la force commerciale des images. On est loin du raz-de-marée annoncé !


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