L’autrice de BD orléanaise Annelise Verdier a dédicacé sa BD « Dames de fraises, doigts de fée » ce 11 octobre 2025 à la librairie Jaune citron d’Orléans.
Annelise Verdier, autrice de la bande dessinée Dames de fraises, doigts de fée.
Cette BD raconte comment des milliers de Marocaines traversent chaque année la Méditerranée pour aller cueillir des fraises dans les serres géantes d’Andalousie. Un travail épuisant et dangereux qui leur permet toutefois d’améliorer le quotidien de leur famille de retour au pays. Quelques jours avant la rencontre, Annelise Verdier a accordé une interview à Sophie Deschamps.
Propos recueillis par Sophie Deschamps.
Comment avez-vous découvert la problématique de ces femmes marocaines ?
Grâce à la Via Campesina, une organisation internationale pour le droit des paysans. En 2019, j’ai réalisé une BD mettant en scène le cas des travailleuses marocaines violées par leur employeur en 2018. Pour dessiner, j’ai lu beaucoup d’articles de presse, la thèse d’Emmanuelle Hellio Importer des femmes pour exporter des fraises. Et bien sûr Dames de fraises, doigts de fée de Chadia Arab, dont l’approche sensible avec des témoignages de femmes m’avait permis de créer mes personnages.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire une BD ?
Après avoir fait ces quelques pages pour La Via Campesina, j’ai repris cette histoire dans une seconde BD pour la Revue Gibraltar. Simona Gabrielli, des éditions Alifbata, m’a proposé d’adapter “Dames de fraises” en BD en 2021.
Comment avez-vous construit les six personnages principaux du récit ?
Je suis allée au Maroc en 2022. Avec Chadia et sa doctorante, Soumia, nous avons rencontré des femmes employées en Espagne. Toutes avaient en commun d’être d’un milieu pauvre, peu scolarisées. Les deux copines qui font tout ensemble m’ont été inspirées par une rencontre à Azrou. Nous avons connu à Beni Mellal une femme berbère, très contente de sa situation, qui a inspiré le personnage d’Yto.
Farida, le personnage principal, est une femme pauvre du milieu rural : simple, elle sait juste lire, se bat pour ses enfants. De mentalité un peu traditionnelle, elle est bousculée par le voyage. Samia est inspirée par un témoignage issu du livre de Chadia. J’ai créé mes personnages pour qu’ils mettent en évidence la cohabitation dans le logement. Elles doivent vivre ensemble à l’étroit, avec des différences culturelles, des pratiques variées d’hygiène ou de « moralité » – il y a des femmes assez pratiquantes et d’autres qui le sont moins – autant de sujets qui peuvent entrainer des conflits.
Vous êtes-vous rendue sur place en Andalousie ?
Oui, j’y suis allée en 2023. La région de Huelva est magnifique, c’est désolant de la voir envahie par les serres. Les membres du syndicat SAT, José Antonio Brazo et Mercedes, m’ont montré les lieux. La tension ambiante était palpable. Beaucoup d’entreprises ont des systèmes de sécurité, parfois deux épaisseurs de grille, un peu comme des prisons – surtout dans la zone entre Palos et Moguer – où j’ai implanté l’histoire. Le SAT voit passer toutes sortes de cas : ça va des heures non payées aux violences, sexuelles comprises, en passant par des situations de personnes malades qu’on ne conduit pas chez le médecin. Ou des femmes qui travaillent près de la zone portuaire, ultra-polluée, qui ont des cancers.
Alors pourquoi reviennent-elles chaque année ?
Payées en euros, elles gagnent beaucoup plus qu’au Maroc. Mais le climat social actuel du Maroc (manifs GenZ) est aussi une réponse : le système de santé défaillant est à l’origine de la révolte… Ce n’est pas pour rien que mon personnage part avec l’idée de pouvoir payer des médicaments. Si on ajoute le manque de travail, la misère, les gens deviennent prêts à faire n’importe quoi pour s’en sortir.
Vous dénoncez également la culture intensive de ces fraises, pourquoi ?
Ces modèles ultra-intensifs développés en Californie et en Israël dans les années 50 se sont généralisés. C’est un danger à tous les niveaux : pollution des sols, épuisement des nappes phréatiques, et rythme de production toujours augmenté. Les vraies gagnantes sont les entreprises productrices d’intrants (semences, engrais, herbicides…) dont cette agriculture est dépendante. Les perdants sont les travailleurs, qui servent de variable d’ajustement, payés à des tarifs toujours plus bas. La fermeture des frontières permet de faire baisser le prix du travail en mettant les saisonniers dans l’illégalité, contraints de travailler à bas coût car ils sont clandestins.
Pourquoi selon vous, ces effets néfastes de la mondialisation sont si peu dénoncés dans les médias occidentaux ?
Nous ne manquons pas de journalistes courageux qui enquêtent sur ces sujets (je pense à Inès Léraud et à son travail sur les algues vertes). Le problème est la diffusion de ces thèmes auprès du grand public. Beaucoup de médias ont comme annonceurs les industries agro, ou sont possédés par des milliardaires actionnaires des mêmes groupes.
Couverture BD Annelise Verdier
Plus d’infos autrement :
On parle de l’immigration mais jamais des immigrés