Spécialiste de la Loire, fondateur de l’association orléanaise “Loire-Vistule”, une des ONG les plus actives en France lors de la lutte de Solidarnosc en Pologne, Zbigniew Gasowski est décédé le 28 septembre, dernier jour du Festival de Loire, à l’âge de 91 ans.
Zbigniew Gasowski est décédé le 28 septembre 2025 – Photo ©DR
Par Régis Guyotat et Rémy Blondel.
Tant à Orléans, siège des institutions ligériennes, où son expertise d’hydrologue faisait autorité, que dans ses activités de militant humanitaire, sa compétence, sa bienveillance et sa générosité, teintées d’un solide humour, étaient reconnues et éprouvées par tous ceux qui l’approchaient. Zbigniew aimait la vie, tout simplement.
À ses débuts, cette dernière pourtant ne lui avait pas fait de cadeaux. Il a 5 ans en 1939, lorsque l’Allemagne envahit la Pologne. Son père qui appartient à la résistance est tué lors de l’insurrection de Varsovie en 1944. Protégée par une mère courage, la famille erre affamée dans la campagne varsovienne. Au nazisme après 1945 succède un autre oppresseur, le stalinisme, mais le jeune Zbigniew, malgré une scolarité chaotique, est un brillant élève. De l’École polytechnique de Varsovie il est sorti ingénieur, a construit un premier barrage sur la Vistule. « Un ouvrage qui ne servait à rien, sinon qu’à satisfaire les objectifs d’un plan quinquennal absurde », nous expliquait-il avec le sens de la dérision dont sont pourvus bon nombre de Polonais. Le Rideau de fer s’est abattu sur l’Europe centrale. Zbigniew profite d’un visa touristique en 1965 pour « passer à l’Ouest », comme on disait à l’époque, et goûter à la démocratie. Il a rencontré aussi Marie-José à Paris, et tous deux se sont installés à Orléans : début des années 70, le voici chargé de mission au service hydrologique du ministère de l’Équipement (on ne dit pas encore de l’Environnement), chargé de surveiller les sautes d’humeur de la Loire.
Militant de la Loire
Chaque siècle, la Loire a ses grands ingénieurs. Zbigniew Gasowski a été celui de la seconde partie du siècle dernier. À partir des années 60, l’heure est à l’aménagement de la Loire. La menace des crues, mais aussi un fleuve de plus en plus à sec, hantent les nuits des autorités, et la solution, pense-t-on, est de construire des barrages. L’État depuis Paris approuve, mais en fait il a en projet la construction des centrales nucléaires et celles-ci ont besoin de beaucoup d’eau, bref d’un fleuve régulé.
Mais d’abord il faut connaître le fleuve plus intimement, fouiller ses entrailles, étudier ses débits, et surtout prévenir ses caprices afin de protéger les populations et les activités des riverains. Zbigniew Gasowski jouera un rôle central dans ce travail d’études : il établira un modèle mathématique des débits du fleuve, à partir des données historiques de ses crues et de ses plus bas étiages. Il concevra et mettra en place le réseau d’alerte contre les crues, préparera les plans de prévention contre les risques d’inondation (PPRI) qui nécessitent un intense travail pédagogique auprès des collectivités locales, défendra l’arrêt des extractions des granulats pour éviter l’affaissement du lit du fleuve, il sera un acteur écouté du premier Plan Loire (1994).
Loire-Vistule : une association à la pointe de la solidarité
Son expertise d’hydrologue est sollicitée en Europe, lors des inondations (l’Oder en 1997) qui commencent à frapper les bassins fluviaux en raison du changement climatique. Au début des années 2000, il sera appelé au Kazakhstan à plusieurs reprises pour faire le point sur les ressources en eau du pays. 13 décembre 1981 : le chef de l’État communiste, le général Jaruzelski, décrète « l’état de siège » en Pologne. Le syndicat libre Solidarnosc, dont Lech Wałęsa a obtenu la légalisation l’année précédente, est brutalement réprimé, ses dirigeants arrêtés ou en résidence surveillée, des milliers de militants incarcérés. Les chars soviétiques, si prompts à intervenir, ne sont-ils pas prêts à envahir le territoire polonais ? L’émotion est immense en Occident. Dans la nuit tombante de décembre, 1 500 Orléanais défilent dès le lendemain dans le centre-ville, et en février 82 nait l’association Loire-Vistule : le but est d’apporter de l’aide humanitaire à la population polonaise dont on découvre ébahi les queues devant les magasins à la télé. La Pologne manque de tout. 173 convois (l’association utilisera deux camionnettes, conduites par des bénévoles) font l’aller-retour avec Varsovie, Cracovie et les grandes villes polonaises, ce qui fera de Loire-Vistule une des organisations humanitaires bénévoles les plus entreprenantes en France entre 1982 et 1990.
La Métropole doit lui rendre hommage !
L’organisateur de ces convois (il faut passer le Rideau de Fer, frisson garanti, les colis sont ouverts, fouillés sans ménagement, et parfois dérobés, par des douaniers armés jusqu’aux dents…) est Zbigniew Gasowski, aidé de Marie-José et d’une équipe soudée de proches. Il faut solliciter les donateurs (l’association très vite se spécialise dans l’envoi de médicaments et de matériel médical), trier les dons, vérifier les dates de péremption…). Un travail de fourmi de préparation, auquel participeront des centaines de bénévoles sous la conduite chaleureuse de son maître d’œuvre. Loire-Vistule enverra aussi des convois en Roumanie où le couple Ceausescu fait régner la terreur et a plongé la population dans la misère.
Lors du Festival de Loire, les organisateurs ont rendu hommage à notre ami. Ce serait une belle initiative si notre agglomération perpétuait son souvenir le long du fleuve qu’il aimait avec passion, comme la vie.
Plus d’infos autrement :
Association Loire-Vistule : 40 ans de solidarité entre l’Orléanais et la Pologne