La Cerdagne, temple du solaire

Ce petit territoire montagneux frontalier de l’Espagne, aux traditions rurales bien ancrées, est une exception scientifique mondiale. La Cerdagne abrite quatre sites majeurs dédiés à l’énergie solaire dans un rayon de vingt kilomètres autour de Font-Romeu. Une étonnante concentration qui s’explique par la convergence de deux atouts majeurs : l’ensoleillement et l’altitude. Voici dans les Pyrénées-Orientales, une escapade scientifique unique au monde à la découverte de l’histoire inachevée de la maîtrise de l’inépuisable source d’énergie que nous offre le soleil.

Four solaire d’Odeillo-Via
Le four solaire d’Odeillo-Via. ©PV


Par Philippe Voisin.


L’aventure du solaire dans les Pyrénées catalanes trouve son origine en 1900 à Sorède près d’Argelès-sur-Mer avec le premier four solaire construit par un scientifique portugais Manuel Antonio Gomes connu sous le nom de « Padre Himalaya » à cause de sa grande taille (1,93m). Pour ses travaux, le savant portugais obtient le Grand Prix de l’Innovation à Saint-Louis (USA) en 1904. Une réplique à l’identique de son four est toujours visible au pied du col del Buc. Le four de Sorède fonctionna 3 mois avant de tomber dans l’oubli. Mais le principe de base est démontré.

Le four solaire de Mont Louis

Presque un demi-siècle plus tard, Félix Trombe, un ingénieur-chimiste qui étudie les propriétés des métaux, démontre la possibilité d’atteindre de très hautes températures avec un four solaire. Nous sortons de la Seconde Guerre mondiale en 1949 et le chercheur du CNRS achète un projecteur militaire de DCA (Défense Contre Avions) pour sa démonstration. Ses travaux intéressent l’armée qui l’autorise à installer à Mont-Louis derrière les fortifications érigées au XVIIe siècle par Vauban, le premier four solaire expérimental à double réflexion : un miroir plat et orientable appelé héliostat suit la course du soleil et réfléchit les rayons du soleil vers un miroir parabolique appelé concentrateur qui les réfléchit une seconde fois en un point focal. Le foyer peut atteindre des températures extrêmes supérieures à 3 000 °C. Ce four, qui a permis de tester les matériaux à hautes températures, devient la référence mondiale pour démontrer la puissance de l’énergie solaire. Après avoir été cédé à une entreprise privée pour la fabrication de céramiques, le four devient la propriété de la ville de Mont-Louis qui ouvre le site au public. Grâce à des démonstrations simples, on découvre alors le spectacle du soleil qui enflamme en quelques secondes le bois et perce l’acier. La cité du roi-soleil devient la cité du soleil-roi !

Héliostat : miroir mobile orienté vers le soleil
Concentrateur : parabole fixe constituée de miroirs concaves
Foyer : l’endroit où les rayons lumineux se croisent

Le four solaire d’Odeillo-Via

Grâce aux travaux de Félix Trombe et convaincu du potentiel de cette technologie, le gouvernement nommé par Charles de Gaulle décide de lancer la construction d’un nouveau four solaire. Même famille, même principe mais les proportions ne sont pas les mêmes. On change d’échelle ! Les travaux commencent en 1962 dans le village d’Odeillo rattaché à Font-Romeu, à dix kilomètres de Mont Louis.

L’imposant concentrateur du rayonnement est aussi grand que l’Arc de Triomphe de Paris. Ici, l’héliostat est composé de 63 miroirs mobiles installés en demi-cercle sur une pente naturelle face au concentrateur. Le gigantisme permet d’obtenir au foyer des températures 3 800 °C. Le CNRS mène des recherches continues depuis son entrée en fonction en 1968 : résistance des matériaux, études sur les chaudières solaires, production d’hydrogènes, applications spatiales. Plusieurs laboratoires pas seulement universitaires cohabitent pour mener des programmes européens publics et privés. Aujourd’hui, avec 1000 kW thermiques, le four d’Odeillo-Via est le plus puissant au monde avec celui de Parkent en Ouzbékistan. Le site est actuellement fermé aux visiteurs. L’accueil est en cours de réaménagement même si les extérieurs restent accessibles.

Comparaison Mont-Louis et Odeillo-Via

Surface : 90 m2 / 1830 m2
Miroirs : 860 / 10 000
Énergie : 50 kW / 1000 kW
Diamètre foyer : 16-18cm / 1m
Chaleur maxi : 3500 °C / 3800 °C

Thémis, une centrale thermodynamique inaugurée en 1983

Visible dans toute la vallée, dominant Font-Romeu, elle se caractérise par une tour de 104 m qui concentre les rayonnements réfléchis par des capteurs au sol répartis autour d’elle. Le projet de construction remonte aux années 70. La France sort affaiblie des deux chocs pétroliers. L’État charge EDF de développer l’énergie solaire. En collaboration avec le CNRS, le programme est nommé THEM (Thermo-Hélio-Électrique-Mégawatt). La centrale est raccordée au réseau en 1983. C’est un saut technologique et un succès pour la France qui lui confère une avance internationale dans la conversion de l’énergie solaire en électricité.

Pionnière, elle a servi de modèle à d’autres centrales dans le monde. Ce procédé est particulièrement adapté aux zones disposant d’un fort ensoleillement direct. Depuis 2008, une vingtaine de centrales à tour ont été installées sur tous les continents, d’1 MW à 377 MW ; la plus puissante fonctionne à Ivanpah aux États-Unis. De nouvelles centrales sont attendues en Chine, en Afrique du Sud et aux Émirats arabes unis. Un projet à Dubaï prévoit une tour de 260 m. Mais Thémis subira une double peine :

  • Technologique : la gestion complexe des sels fondus utilisés dans le circuit primaire et l’absence de moyens informatiques adaptés généreront de nombreuses interruptions du fonctionnement.
  • Financier : le coût élevé des réparations et le prix du pétrole redevenu concurrentiel.

EDF arrête sa centrale en 1986, soit deux années seulement après son démarrage. Elle devient alors un laboratoire de recherche en astrophysique.
Menacée de destruction en 2004, elle est sauvée par le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, propriétaire du foncier qui transforme les lieux en plateforme de recherche, de centre d’innovation pour la transition énergétique et de pôle touristique et pédagogique, ouvert au public.

La centrale solaire eLLO

Créée en 2018, c’est la dernière-née des installations solaires dans le petit territoire cerdan. C’est aussi la seule en situation de produire de l’électricité raccordée au réseau. Dans la large vallée dominée par la tour de Thémis, sur la commune de Llo (prononcer Lio) connue pour ses bains d’eaux chaudes sulfurées en plein air, s’étalent d’est en ouest sur une pente douce les alignements de capteurs solaires. Ils occupent une surface de 36 ha (50 terrains de football !) Dans le cahier des charges du projet, ce système doit pouvoir produire selon les prospectus l’équivalent de la consommation électrique de 7 000 personnes, de jour comme de nuit. Car c’est bien dans cette particularité que l’installation est unique au monde.

La technologie de production est classique : elle repose sur un tube appelé la chaudière placée horizontalement sur les miroirs légèrement incurvés qui concentre le flux lumineux. L’eau circulant dans les tuyaux se transforme en vapeur qui entraîne les pales d’une turbine. La nouveauté réside dans le stockage de la vapeur dans des réservoirs pressurisés disponible jour et nuit. C’est une entreprise française d’équipements industriels spécialisée dans les technologies de l’environnement qui est à son origine. Elle espère bien exporter son expertise dans les pays à fort ensoleillement direct.

  • 1949 – 1962 – 1983 – 2018, quatre dates repères pour découvrir les quatre temples dédiés au dieu soleil, l’énergie du futur.
  • Sinon, s’il vous reste un peu de temps, vous pouvez randonner, avec de bonnes chaussures l’été et de bonnes raquettes l’hiver. En Cerdagne, dominée par le Pic Carlit, ça grimpe facilement jusqu’à 2 400 m !

Mont-Louis, la ville-forteresse

C’est l’une des neuf villes créées ex nihilo par Vauban et certainement la mieux conservée. Situé à 1 600 m, c’est la ville fortifiée la plus haute de France. D’un point de vue architectural, elle est remarquable par sa conception à double entrée. Dans une même enceinte, d’un côté, autour d’une petite église, la ville composée de bâtiments serrés à trois niveaux qui ont abrité tour à tour des dortoirs, un hôpital et aujourd’hui des services publics et des commerces. De l’autre, une caserne militaire interdite au public qui accueille le Centre National d’entraînement des commandos d’élite de l’armée de terre. La ville-citadelle est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO dans le cadre des sites majeurs Vauban.


Plus d’infos autrement :

La centrale solaire du Relais Orléanais désormais en place

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