La semaine dernière, à la Scène nationale, se produisait Vers les métamorphoses, créé et interprété par Étienne Saglio. Mélange de danse, marionnettes et théâtre d’ombre, le spectacle suscite l’émerveillement aussi bien chez les petits que chez les grands.

Saglio encerclé par le géant et le petit. Crédit : Benjamin Guillement.
Par Charlotte Guillois.
Étienne Saglio est une figure incontournable de la magie nouvelle. Formé aux arts du cirque, le « dresseur de fantôme, enchanteur de loup » et magicien s’amuse à mélanger les styles. Entouré de son équipe fidèle composée du magicien Raphaël Navarro, de la musicienne Madeleine Cazenave, de la dramaturge et anthropologue Valentine Losseau et du constructeur Simon Maurice, Saglio entraîne le spectateur dans un voyage initiatique et poétique, où s’exprime l’art de la métamorphose.
La genèse du spectacle trouve ses racines dans une double crise existentielle : une rupture amoureuse et l’approche de la quarantaine. Après 17 ans de vie partagée, Saglio se retrouve face à lui-même. Il repense alors à son frère jumeau, premier double de son existence. Cette identité gémellaire, à la fois source de trouble et d’inspiration, devient le prisme à travers lequel il explore la multiplicité de l’être. S’ouvre un dialogue intérieur entre ses « autres moi » : ceux qu’il a été, ceux qu’il rêve ou redoute de devenir. La magie devient alors le langage d’une introspection lyrique.
Un spectacle magique et contemplatif
Captiver sans parole : tel est le pari de Vers les métamorphoses. Porté par une bande-son alternant piano, bol tibétain et sons synthétiques, l’univers enchanteur d’Étienne Saglio se déploie sur scène en prenant son temps, un peu trop parfois, mais sans jamais perdre son pouvoir de fascination sur le spectateur.
Le spectacle repose sur quatre strates. D’abord le voyage initiatique, où le personnage tente de quitter son corps en crevant son masque de carton. Muni de grandes ailes blanches, il s’envole avant de se transformer en une version miniature de lui-même. Puis vient l’histoire symbolique, celle du désir d’être multiples. Saglio devient oiseau, chien (incarné par Messi, le chien star d’Anatomie d’une chute), rencontre son alter ego minuscule et un robot géant dont les yeux brillent dans la nuit.
L’histoire intime s’impose ensuite : Saglio se confronte à son jumeau dans une danse aux frontières floues. Ils tourbillonnent, ne font plus qu’un, puis se dédoublent à nouveau. Enfin surgit le réel dans le réel, un jeu absurde et burlesque qui dévoile les artifices du théâtre : Saglio, pourchassé, fait tourner en bourrique ses poursuivants en disparaissant derrière une porte, réapparaissant derrière une autre, rappelant le générique du dessin animé Quoi d’neuf Scooby-Doo.
Le sens nous échappe parfois, mais chacun est libre d’y projeter « son histoire, ses propres élans vers la métamorphose ».

Étienne Saglio, avec ses ailes en carton, face au géant. Crédit : Benjamin Guillement.
Le Roi et l’Oiseau comme alter ego
À la fin du spectacle, Étienne Saglio évoque l’un de ses films fétiches, dont il s’est beaucoup inspiré : Le Roi et l’Oiseau (1980), chef-d’œuvre de Paul Grimault et Jacques Prévert, d’après La Bergère et le Ramoneur d’Andersen. Repris récemment en ciné-concert par Chapelier fou, l’évènement affiche « complet » sur le site de la Scène nationale, confirmant sa pérennité quarante ans après sa sortie.
De fait, les correspondances entre le film et le spectacle de Saglio sont assez frappantes. La marionnette du géant partage certains traits avec le colosse mécanique du roi : mêmes pieds rectangulaires, même taille titanesque, mêmes yeux lumineux. Mais là où le robot de Grimault n’est qu’un instrument, destructeur entre les mains du roi puis libérateur entre celles de l’Oiseau, celui de Saglio, dont le corps filiforme le rend moins menaçant, semble animé d’une sensibilité propre, rappelant davantage la candeur d’un Wall-E.
La bande-son prolonge cette filiation. Saglio, comme Grimault, mêle musique classique et électronique. Et le motif du double est également très prégnant dans le film : l’alter ego du roi, son propre portrait, s’anime et prend sa place, se lance à la poursuite de celle qu’il pense être sa moitié, alors qu’elle forme déjà une paire avec le Ramoneur.
Enfin, l’oiseau achève de relier les deux univers. Dans le film, l’Oiseau incarne la liberté et la résistance au pouvoir. Chez Saglio, les ailes qu’il déploie lui permettent d’échapper à la pesanteur, de s’échapper de lui-même. Là où Grimault fait de l’oiseau un symbole d’émancipation, Saglio se sert des ailes pour s’arracher au réel. Et c’est bien vers le monde des rêves que nous emporte Vers les métamorphoses.
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