La Petite Dernière, réalisée par Hafsia Herzi, est une adaptation du livre de Fatima Daas paru il y a cinq ans. Ce sublime film a remporté la Queer Palm 2025 au Festival de Cannes ainsi que le prix de la meilleure interprétation féminine pour Nadia Melliti. Un film qui crie : « Vive les lesbiennes ! ».
Nadia Melliti dans le rôle de Fatima et Ji-Min Park dans le rôle de Ji-Na. Crédit : 2025 June films Katuh studio Arte France mk2films.
Par Jeanne Beaudoin.
« Je n’avais jamais vu un personnage comme ça », confie Hafsia Herzi lorsqu’elle décide d’adapter au cinéma le livre de Fatima Daas. L’histoire décrit une héroïne d’origine maghrébine, musulmane pratiquante, vivant en banlieue et attirée par les filles. Mais au-delà de ce portrait, c’est surtout un récit universel qui parle d’émancipation, de désir et d’amour. Tourné comme un roman d’apprentissage, ce film suit Fatima au plus près de son quotidien, entre sa terminale et sa première année de licence de philosophie, alors qu’elle explore son homosexualité à travers l’école, sa famille et sa religion.
L’œil d’Hafsia Herzi : du documentaire à la fiction
Ce qui est particulièrement réussi dans ce film, c’est de voir à quel point il semble vrai. Les décors s’effacent, les tenues aussi. Les scènes et les dialogues paraissent naturels. Tout cela grâce à un travail d’enquête que la réalisatrice a mené en amont du tournage afin de se rapprocher au plus près de la réalité. Elle explique, dans une interview donnée à Mediapart, que pour parler au mieux de l’asthme de Fatima, par exemple, elle a d’abord rencontré un pneumologue, convaincu par la suite de jouer le rôle du médecin.
Ce sont « des petites choses pour faire un cinéma du réel », explique la réalisatrice. L’imam du film est véritablement imam dans la vie. De même, lorsque la mère de Fatima cuisine dans le film, elle cuisine réellement. Les lieux queer sont authentiques, adresses iconiques de la vie lesbienne parisienne, notamment le bar de La Mutinerie. Enfin, le personnage de Fatima, fan de football, est interprété par Nadia Melliti, elle-même passionnée de sport et actuellement étudiante en STAPS.
Fatima est entourée de sa mère et de ses deux grandes soeurs. Crédit : June films Katuh studio Arte France mk2films.
Sortir du « male gaze » pour réinventer la sensualité des actrices
Fatima lutte et ne fait que ce qu’elle désire. Elle part à la découverte de l’amour. Alors qu’elle s’inscrit sur un site de rencontres, elle commence à enchaîner plusieurs rendez-vous, jusqu’à tomber véritablement amoureuse pour la première fois. Les scènes d’amour font du bien, on sort du male gaze, c’est-à-dire du regard masculin, pour entrer dans une véritable sensualité. « J’ai plus de sensibilité à regarder un vrai baiser que des gens qui vont simuler un acte sexuel », avoue Hafsia Herzi. Et effectivement, la tendresse est représentée par une main sur un visage, un regard, des mots.
Nadia Melliti, lauréate du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2025. Crédit : June films Katuh studio Arte France mk2films.
Un besoin de représentation
Pour Fatima Daas, écrire ce personnage était une nécessité, même un devoir disait-elle, car trop peu représenté dans la littérature. Ainsi, Hafsia Herzi s’est sentie le devoir de le porter au cinéma. « Ce film, ce livre, j’aurais tellement aimé les voir quand j’étais adolescente, ça m’aurait permis d’aller mieux beaucoup plus vite et de régler la question de l’homophobie intériorisée plus rapidement », confesse Fatima Daas. Un film où la religion est traitée comme un décor, « pour que toutes les religions puissent s’identifier », car c’est surtout le mal-être du personnage qui est présent, sa culpabilité envers sa famille et elle-même, son conflit intérieur entre son malaise d’être lesbienne et sa volonté de pouvoir vivre sa sexualité librement.
Un livre qui, il y a cinq ans, avait fait polémique. Pour son autrice, il dérangeait avant tout parce qu’on attendait d’elle qu’elle raconte l’histoire « d’une lesbienne musulmane qui se fait jeter à la porte par ses parents intégristes et sauvée par le milieu LGBT blanc ». Or, ce n’est pas ce qu’elle raconte. Elle parle d’amour familial, du besoin de concilier son homosexualité et sa religion. Mais surtout, de ne pas vouloir être sauvée.
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