Le spectacle conçu par l’historien Patrick Boucheron et le metteur en scène Mohamed El-Khatib n’aura pas lieu comme prévu en 2027. Le directeur du domaine national vient de le déprogrammer afin que le château ne soit « pas l’otage d’un discours militant ». Une décision – un acte de censure ? – qui ravit une extrême droite qui applaudit.

Vue des toits et des cheminées. cl Manfred Heyde Wikipédia
Par Jean-Jacques Talpin.
En 2027, le domaine national de Chambord devait être la vitrine d’un grand spectacle historique proposé par deux références du milieu culturel : Patrick Boucheron et Mohamed El-Khatib. Le premier est un historien reconnu, professeur au Collège de France à qui l’on doit notamment le scénario du spectacle d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris en 2024. Le second est un des metteurs en scène les plus en vue de la scène théâtrale nationale et même internationale. Mais c’est aussi un enfant du pays : né à Beaugency, Mohamed El-Khatib a vécu à Meung-sur-Loire et a étudié au lycée Pothier d’Orléans avant de s’envoler vers une gloire théâtrale. L’Orléanais a d’ailleurs été le cadre de deux de ses spectacles : « Finir en beauté » où il racontait la fin de vie de sa mère au CHR d’Orléans. Et « Renault 12 » ; road trip entre Orléans et le Maroc.
Une histoire « woke » ?
Avec l’aval et le soutien de la région Centre-Val de Loire, ces deux intellectuels préparaient donc un spectacle pour Chambord. Mais c’était compter sans la mobilisation de l’extrême droite qui a vu dans ce probable spectacle un son et lumière « woke », une ode au gauchisme et à la militance de gauche. C’est pourquoi le directeur du domaine national de Chambord, Pierre Dubreuil a mis fin à ce projet, pourtant déjà en partie élaboré, comme l’a révélé le journal Libération dans son édition du 23 octobre. Pour le directeur de Chambord, son château ne devait « pas être l’otage d’un discours militant » tout en refusant « une vision hémiplégique de l’histoire » « d’un camp contre un autre ». Contactés par Libération, les deux concepteurs du projet ont réagi : « Parler, nous concernant, d’une vision hémiplégique de l’histoire, est une insulte faite à toutes celles et ceux qui ont lutté pour l’égalité des droits, la justice et la démocratie en France ».
L’argument du coût !
Pierre Dubreuil avance un autre argument pour justifier la déprogrammation : le coût trop important du spectacle estimé à deux millions d’euros alors même que le château est à la recherche de fonds pour rénover une de ses ailes en mauvais état. Les recettes du son et lumière devaient d’ailleurs contribuer au financement des travaux prévus dans l’aile François 1er. Mais pour Patrick Boucheron et Mohamed El-Khatib cette explication financière est « secondaire ». « L’exploitation du projet, expliquent-ils dans Libération, permettait de parvenir à l’équilibre tout en favorisant des prix d’entrée accessibles ».
Un gage donné à l’extrême droite !
L’explication de cette annulation pourrait être plus politique comme le suggèrent des acteurs du monde culturel. Et Chambord pourrait être victime de la guerre culturelle engagée par l’extrême droite. À l’image du Puy du Fou et de Philippe de Villiers, relayée aujourd’hui par le milliardaire traditionaliste et exilé fiscal, Pierre-Édouard Stérin, la cathosphère d’extrême droite a fait de l’histoire et des spectacles historiques un nouveau champ de bataille culturelle. La cathosphère a, en effet, fait de ces spectacles historiques vantant la France traditionnelle et pré-révolutionnaire une priorité pour réécrire le « roman national » qui serait mis à mal par des historiens mal pensants. Pierre Dubreuil, se posant en garant d’une écriture de l’histoire, aurait donc refusé de choisir entre une tendance « woke » et un engagement traditionaliste au profit d’une histoire plus « inclusive » et consensuelle.
L’extrême droite se réjouit !
L’annonce de cette annulation a d’ailleurs été saluée à grand renfort d’articles par toute l’extrême droite qui s’en est donnée à cœur joie dénonçant par avance un « spectacle gauchiste payé par les deniers publics ». Il est vrai que Mohamed El-Khatib a quelquefois donné des gages aux partisans de la censure. Comme en septembre dernier où, en publiant une offre d’emploi, il posait comme condition au recrutement : « Il/elle est, sans condition, pour la reconnaissance immédiate d’un État Palestinien ». N’empêche ! En renvoyant dos à dos ces deux conceptions de l’histoire, le directeur du domaine de Chambord donne des gages à l’extrême droite ! Un acte de censure, au lendemain des Rendez-vous de l’Histoire qui, assurément, n’embellira pas l’image de ce trésor national qu’est Chambord !
Plus d’infos autrement :
Quand la Mairie d’Orléans programme un spectacle réac’