« Un poète », anti-héros paumé mais entraînant et réjouissant

Le réalisateur colombien Simon Mesa Soto sort une comédie parfois grinçante. Son personnage, un poète passé à côté de la célébrité, nous entraîne dans une histoire loufoque qui le fait se rapprocher de la réalité. Le côté brut de l’image et du montage, la qualité des interprètes non professionnels font de ce film une belle réussite loin des réalisations mainstream. Cannes ne s’y est pas trompé en lui décernant le prix du jury.

Oscar (Ubeimar Rios). Photo Épicentre Films.



Par Bernard Cassat.


Que faire de soi quand on est poète maudit d’une quarantaine d’années, qu’on aurait dû mourir jeune comme les autres poètes maudits et qu’on n’a rien pour vivre, puisqu’on a tout abandonné pour écrire des poèmes qui ne viennent pas ? Le réalisateur Simon Mesa Soto développe à partir de cette question-situation une histoire plutôt tordue, racontée avec une verve très personnelle.

Un poète chômeur

La vie d’Oscar n’est pas brillante : il loge chez sa mère, ne voit plus sa fille qui passe le bac, se fait sermonner continuellement par sa sœur. Quand il lui dit « je suis poète », elle lui répond « tu es chômeur ! ». Pour atténuer tout cela, il y a la bouteille, dont il abuse non pour trouver l’inspiration poétique, mais pour délirer avec d’autres adeptes sur la poésie. Sobre ou pas, Oscar est bavard.

Oscar et sa fille. Photo Épicentre Films.


Surtout avec son ancien éditeur qui dirige maintenant un club de poésie. Ils sont trois à se faire mousser, pieds nickelés de la poésie qui se nourrissent de mots, de fausses réussites et qui tuent l’esprit même de ce qui les rassemble. Avec en toile de fond un terrible besoin d’argent.

Yurlady (Rebeca Andrade) Photo Épicentre Films.


Une rencontre va pousser l’intrigue. Yurlady, une élève de la classe où Oscar donne des cours, tient un journal intime riche en poèmes et en dessins. Impressionné par la jeune fille, il va l’entrainer dans un concours de poésie organisé par le fameux club. Comme il y a quelques sous à la clef, Yurlady, d’une famille très pauvre comme il y en a plein à Medellin, va se laisser faire sans grande conviction. Elle raconte à Oscar son quotidien, sa mère qui bosse et qu’elle ne voit que le week-end, ses sœurs qui, à 18 ans, ont déjà deux gamins, l’entassement de la famille dans un appartement de quartier pauvre, l’absence du père. Oscar va chez elle pour convaincre la famille. Le film se fait constat social, tout en gardant son élan de comédie, comme savaient si bien le faire les Italiens des années 60-70. Yurlady ira au concours, le gagnera et boira un peu trop dans la fête qui suit, comme Oscar qui n’a pas pu résister. Des scènes ubuesques du petit bonhomme Oscar, portant puis trainant sa protégée plutôt volumineuse, emmènent le film loin de la poésie, dans la comédie grinçante d’une réalité sociale où tout est bon pour obtenir des sous. Et le club des poètes n’est pas des plus brillants dans la situation.

Filmé dans l’urgence

Simon Mesa Soto a choisi de filmer cette histoire en 16 mm, caméra au poing. Il y a donc du grain, des tremblements, des précipitations, une sorte d’urgence comme chez Cassavates, l’un des repères de cinéma du réalisateur. Il arrive ainsi à filmer dans des espaces réduits avec beaucoup de monde sur l’image, comme la famille de Yurlady. Des moments en voiture, aussi, où Oscar est vraiment lui-même. Des gros plans de visages, beaucoup. Avec un montage étonnant, des coupures parfois violentes, brutes, son comme image. Ou bien des enchainements visuels qui glissent. Une très belle photo, pas du tout sage ni académique, mais originale, à l’instar du personnage.

La famille de Yurlady. Photo Épicentre Films.


Oscar est incarné par un non-professionnel, Ubeimar Rios, l’oncle d’un ami du réalisateur. Il est incroyablement présent, avec un visage pas facile mais profond, ne pouvant pas cacher ses émotions. Ses gros yeux disent, sa bouche porte la poésie. Il parle beaucoup, des dialogues écrits, préparés, mais les fait jaillir avec authenticité, la tête un peu penchée comme s’il réfléchissait le monde. La jeune Yurlady, Rebeca Andrade, occupe l’écran sans en faire beaucoup. C’est sa force. Et tous les autres poètes paumés sont à leur place.

Cette aventure poétique reste assez mystérieuse dans ses intentions. La poésie est-elle opposée, comme souvent, au sordide de la réalité ? Mesa Soto semble au contraire mêler les deux pour chercher une vérité des personnages. Et réussir un film à la fois léger et foutraque mais profond et totalement dominé.


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