Ruissellement : la gouttière reste bouchée pour le football amateur

Philippe Diallo, le président de la Fédération française de football, dévoilera le 22 novembre sa « grande loi de programmation pour tout le football, amateur comme professionnel ». Il s’agit d’une feuille de route définissant une trajectoire et une visibilité sur les aides attribuées aux clubs amateurs. Dans les associations sportives qui n’ont pas été consultées, on attend plus de reconnaissance. Le ruissellement de la richesse fédérale se fait attendre. État des lieux.

4e tour de la Coupe de France de football, stade du Donjon à Olivet le 28 septembre 2025. @PV


Par Philippe Voisin.


Ce dimanche après-midi ensoleillé de septembre, dans le cadre bucolique du domaine du Donjon à Olivet, se déroule un match éliminatoire pour le compte du 4e tour de la Coupe de France entre deux équipes régionales. L’Union Sportive Municipale d’Olivet (R2) reçoit l’Union Foot Touraine (N3). Le protocole de l’entrée des équipes a tout d’un grand match professionnel, le rituel est bien rodé : des jeunes accompagnent les joueurs sur le terrain, présentation en ligne au public, salutations, poignées de main et échange de fanion. Les maillots affichent les sponsors de la FFF (supermarché, banque et jeux en ligne).

La coupe de France c’est spécial

Sur un seul match, le petit peut battre le gros. Au départ, tous les clubs sont alignés. On aime ça, c’est populaire. L’affiche semble appétissante et le public local s’est déplacé nombreux derrière la main-courante. C’est un événement exceptionnel. Mobilisation générale des bénévoles pour remplir la caisse avec des recettes indispensables à la vie du club. L’entrée est payante (5€) et la buvette propose un grand choix de dégustations, solides et liquides.

Mais derrière cette mise en scène, la famille du football n’affiche pas le bonheur. L’histoire de ces deux équipes épouse des trajectoires différentes mais elles manifestent une même inquiétude. Le football amateur fait la grimace. C’est du chacun pour soi au gré des soutiens des collectivités territoriales et des sponsors qu’il faut sans cesse renouveler. Dans la bouche des dirigeants, une seule expression : c’est difficile ! Les rouges d’Olivet ne se font pas d’illusions. (Tours, vainqueur 4 à 0, a éliminé Olivet). Malgré ses 450 licenciés et une école de football fréquentée, le club municipal peu soutenu par les élus végétera au mieux dans le championnat régional tant que les énergies bénévoles le porteront.

Terrain de football spectateurs
De plus en plus de débordements concernent les parents de jeunes en bord de terrain. ©PV

À Tours, sur les cendres d’un géant

De l’autre côté, les bleus représentent la nouvelle élite tourangelle, une alliance de clubs de l’agglomération nommée l’Union Foot Touraine (N3) après la liquidation judiciaire définitive du FC Tours le 25 février 2025. Le vieux club professionnel créé en 1919 qui a longtemps été le fleuron du football en région Centre a disparu et toutes ses équipes amateures ont été disqualifiées. Un vrai traumatisme en Touraine révélateur des fragilités du modèle économique.

Antoine Fins, président de l’Union, incarne l’avenir du football tourangeau avec un projet ambitieux. Cet ancien joueur de Concarneau et de l’US Montargnarde, ex-directeur général du réseau de transport Keolis Tours, est le profil type du dirigeant passionné-compétent. Mais il refuse de communiquer son budget. « C’est un miracle permanent ! » dit-il. Son club compte 900 licenciés dont 600 enfants, une soixantaine de bénévoles et une cinquantaine d’éducateurs indemnisés. Symbole de la renaissance, il vient d’obtenir l’autorisation d’utiliser le prestigieux stade de la Vallée du Cher. Mais il reste prudent : « Le prix de la licence (200€) est déjà élevé et il ne couvre pas les frais réels. Si on augmente la cotisation, le nombre de pratiquants baissera. Le football est un sport populaire. »

Comme les autres clubs, l’Union Tourangelle fait face à la crise du bénévolat. Pour encourager et valoriser l’engagement, elle organise cette saison « la journée du bénévole » en direction notamment des parents pour les associer aux déplacements et accompagner les enfants. Mais c’est sans espoir ! « Aujourd’hui, on consomme un service. Et l’offre de loisirs est de plus en plus variée », affirme Antoine Fins qui ajoute : « J’ai l’impression que la richesse du monde professionnel n’est pas assez partagée. On attend plus de ruissellement ! Pourtant, on ne peut pas contester les fonctions sociale et éducative des associations sportives et on ne les valorise pas. » L’homme reste cependant motivé par le projet sportif et sociétal de l’aventure. Mais un grand fléau menace.

La violence est dans les stades

Les commissions de discipline instruisent de plus en plus de dossiers. « Nous avons traité dernièrement un cas grave commis par un enfant de 12 ans ! » révèle un membre d’une commission de discipline régionale sous couvert d’anonymat. Depuis le début de la saison en septembre, 12 dossiers sont déjà à l’instruction dont 2 atteintes à l’intégrité physique et 3 suspicions de fraude. C’est un record. Lors de l’assemblée générale de la Ligue du Centre-Val de Loire le 24 octobre dernier, le président Antonio Teixeira donne lecture d’un communiqué après une nouvelle agression d’un arbitre. Les événements se multiplient : brutalisations, intimidations et arrêts de matches. La Ligue déplore, la Ligue condamne, la Ligue appelle au respect du jeu et des acteurs du jeu. « Il y a de plus en plus de tensions autour des terrains. Les parents imaginent que leur progéniture est un futur Mbappé », affirme Fabien Croze, l’entraîneur de Châteauneuf-sur-Loire (R1). Les stars millionnaires de la petite balle font tourner les têtes et alimentent les rêves en circuits courts des gosses et des parents. Les incivilités se généralisent et les clubs se débrouillent comme ils peuvent…

Récemment, Saran Football Club (45) a publié un communiqué pour dénoncer le comportement violent filmé dans les vestiaires de trois jeunes joueurs qui ont été immédiatement sanctionnés. « Nous ne laissons rien passer. On prend notre part dans l’éducation des enfants. Nous avons créé une commission d’éthique depuis trois ans pour garder la trace des infractions constatées. » Dominique Amico, le président délégué ajoute : « Il y a un risque majeur et les réseaux sociaux ont une grande part de responsabilité. » L’alerte est lancée.

Pas de transparence sur le financement des clubs

Quand on parle argent, la famille du football reste discrète. Le montant des recettes et leur provenance ne sont pas communiqués. Pour Fabien Croze, fin connaisseur du football amateur, « c’est le budget des clubs qui détermine le niveau. Il n’y a plus de place pour les générations spontanées et les équipes de copains ». La généralisation des diplômes nationaux certifiés obligatoires pour l’encadrement des équipes, contribue à la progression technique et à la sélection dans les écoles de football. Mais c’est une lourde contrainte pour les associations sportives qui prennent en charge, quand elles le peuvent, la formation et l’indemnisation de leurs éducateurs. Alors, on peut parler de course au recrutement des entraîneurs diplômés qui, comme les joueurs, recherchent à tous les niveaux, même départemental, des conditions financières favorables.

Alors que les subventions ont tendance à se tarir, c’est un facteur supplémentaire d’inégalité entre les clubs. On ressent nettement cette fracture dans les campagnes que les regroupements de communes n’ont pas complètement enrayée. Les réformes successives des championnats ont resserré l’élite. L’échelle pour gravir la hiérarchie perd des échelons et la compétition se dispute à deux vitesses. « En national 2 et 3, les joueurs ne font que du foot. Ils s’entraînent 5 à 6 fois par semaine. Il y a souvent un directeur sportif qui gère la masse salariale », précise le technicien de Châteauneuf.

La fourchette de salaires reste large et incertaine : de 1 680 € pour les premiers contrats à 10 000 € bruts. À ce niveau, considérant que les joueurs ont une activité qu’ils exercent à 100 % et qu’ils sont sous contrat de travail, parler de football amateur est un contresens. Pour sortir des compétitions départementales et régionales, les dirigeants toujours bénévoles doivent courir derrière des partenaires privés. On leur demande d’adopter des méthodes de gestionnaires et d’entrepreneurs. Dans les ligues, les conseillers techniques souvent fonctionnaires, cherchent à les convaincre de développer des « projets clubs » avec graphiques et tableaux Excel pour optimiser la performance sportive. Un business plan. Mais pour ceux qui resteront au bord du chemin, le football restera un simple loisir, de pauvre : le gâteau est trop petit pour être partagé.

Quel chantier !

Tous les dirigeants interrogés affirment ne pas connaître les intentions de la Fédération. Cette loi de programmation se prépare sans concertation de la base associative qui est pourtant majoritaire mais sous-représentée dans les instances. On sent bien le malaise devant le décalage entre les excès de l’élite professionnelle et les faibles moyens des « amateurs ». La Fédération sportive la plus puissante de France doit faire face à un défi démocratique et démographique. Au fil des années, les chiffres parlent : moins de bénévoles, moins de subventions, plus de violence et régression des effectifs notamment dans les catégories jeunes. Ajoutez la baisse de la natalité, et la chute s’annonce spectaculaire.

La Ligue de football du Centre-Val de Loire
Début novembre 2025, la Ligue compte 78 618 licenciés (-3 377). Elle représente 547 clubs actifs dont 408 avec des jeunes.
75% des clubs ont moins de 170 adhérents.
Elle enregistre une baisse des effectifs de 11% chez les moins de 9 ans.

13 équipes sont engagées dans les championnats nationaux :
National (1 groupe)
Châteauroux-Berrichonne (pro) ; US Orléans 
National 2 (3 groupes)
Groupe A : FC Montlouis
Groupe B : Bourges Foot ; Blois Foot ; Saint-Pryvé-Saint-Mesmin
National 3 (8 groupes)
Groupe B : Châteauroux-Berrichonne 2 ; Union Foot Touraine
Groupe D : Chartres Foot ;
Groupe G : SO Romorantin ; US Orléans 2 ; Saran FC ; Vierzon FC


Plus d’infos autrement :

Projet orléanais de la Ligue du Centre de foot, Châteauroux sort le carton rouge !

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