« Maldonne », quand la danse devient révolte

Leïla Ka, chorégraphe incontournable ayant notamment travaillé pour Beyoncé ou la Cérémonie des Césars, était de passage en région Centre-Val de Loire avec sa pièce Maldonne. Ce puissant hymne à la sororité fait salle comble dans toute la France et à travers le monde. Jouée au Théâtre d’Orléans ce mercredi 12 novembre, la pièce sera à nouveau jouée à Tours le 5 février 2026.

Les cinq danseuses sont sur scène. Crédit : Monia Pavoni.
Les cinq danseuses sont sur scène pour une chorégraphie à la fois furieuse et tendre. Crédit : Monia Pavoni.


Par Jeanne Beaudoin.


Quand il y a maldonne lors d’une partie de cartes, c’est parce que les cartes ont été mal distribuées. Il faut alors les redistribuer de manière équitable. « Aujourd’hui, quand on voit la situation des femmes dans le monde, il y a encore maldonne. Il faudrait reprendre toutes les cartes et les redistribuer », expliquait Leïla Ka lors de la tournée médiatique de présentation du spectacle. C’est là tout le fil conducteur. La performance présente cinq danseuses, cinq femmes à la recherche de liberté. 

Entre travail à la chaîne et exploitation

Lorsque le rideau s’ouvre, cinq femmes nous font face. Alignées, elles répètent inlassablement des mouvements dans une synchronisation parfaite. Elles dansent au rythme de leurs respirations. Des respirations très fortes, comme si nous étions face à une crise d’angoisse. Elles insufflent la cadence de la danse, les gestes mécaniques se répètent encore et encore. Elles sont toutes vêtues de robes fleuries, très conventionnelles, mais n’ont rien dessous. Elles n’ont que leurs robes et leur force de travail. 

Parfois, l’une d’entre elles tombe, mais se relève toujours pour recommencer inlassablement ce rythme mécanique. On peut y voir des scènes de violences sexuelles, elles ne sont plus maîtresses de leur corps, les gestes répétitifs et synchronisés priment sur leur propre libre arbitre. Ces gestes récurrents rappellent également le travail à la chaîne, mais aussi l’exploitation des corps pour alimenter un système qui s’appuie sur la surproduction. Leïla Ka fait danser les corps qui n’osent plus parler.

Les cinq danseuses sont sur scène. Crédit : Monia Pavoni.
Les ondulations de corps synchronisés rendent certaines séquences hypnotiques – crédit Monia Pavoni.

Les danseuses se réapproprient leur corps

La lumière s’éteint, puis revient. Mais cette fois, les danseuses ne sont plus emprisonnées dans des gestes subis et mécaniques. Elles tapent des poings sur le sol, pratiquent des arts martiaux, dansent joyeusement. Leurs tenues changent du tout au tout, passant à des robes léopard et zébrées. Elles se changent et se rechangent, les robes se succèdent et s’empilent, quarante robes exactement seront portées durant la chorégraphie. La situation s’inverse, elles ne subissent plus, elles se réapproprient leur corps. 

Ces quarante robes, toutes trouvées en friperie ou chez Emmaüs par Leïla Ka, « sont comme les injonctions que les femmes subissent, toutes très stéréotypées, parce qu’en fonction de la robe que l’on porte, on a envie de bouger d’une façon ou d’une autre et, en fonction de la robe que l’on met, ces robes nous font rentrer dans la peau d’un personnage », développe Leïla Ka. Les corps violentés deviennent, par cette chorégraphie, très beaux. « Ce que j’essaie de faire, c’est de définir des personnages qui ne parlent pas, mais qui ont des choses à dire en dansant ». 

Magnifique tableau de sororité

Le tableau donné à voir est très beau, il devient un véritable hymne à la sororité. Si les danseuses continuent de tomber, c’est toujours pour mieux se relever. Elles reviennent plus fortes, plus déterminées, elles continuent de se battre et à danser joyeusement. Elles enchaînent les histoires, sont plus ou moins vêtues, passant d’un corps dissimulé puis contraint à un corps exhibé et, enfin, libéré. Les robes font tout : elles sont à la fois serpillière, foulard, tenue de soirée, bannière. Un véritable manifeste esthétique. 

Les danses se succèdent, tantôt sur des musiques de Vivaldi, de Lara Fabian, de Leonard Cohen, et même sur des beats techno de Mathame. Elles dansent à la recherche de la liberté, ensemble, tout en gardant chacune une certaine singularité. La chorégraphe tente une exploration du féminin, elle dévoile et habille les fragilités, les révoltes et les identités multiples.

Crédit : Nora Houguenade.
Des corps pleins de fragilité – crédit : Nora Houguenade.

Pour aller plus loin dans la réflexion

Leïla Ka sera à nouveau au Théâtre d’Orléans les 28 et 29 avril prochains, cette fois-ci pour chorégraphier et interpréter On m’a trouvé grandi. Une pièce mise en scène par Valentine Losseau, inspirée d’une histoire vraie, pour créer un récit à la frontière du réel, hommage aux femmes et à leurs révoltes. 

La librairie des Temps Modernes a également réalisé une sélection spéciale en lien avec le spectacle, ce qui peut être une belle manière de prolonger le moment. En lien avec le vêtement féminin et son imaginaire, elle recommande Mille milliards de rubans : La vraie histoire de la mode écrit par Loïc Prigent, dans laquelle il détaille les débuts du prêt-à-porter au XIXᵉ siècle, lorsque la révolution industrielle lance la production à grande échelle.

Elle recommande aussi L’envers des fripes : Les vêtements dans les plis de la mondialisation d’Emmanuelle Durand, ainsi que Mode jetable : Entre gaspillage et surproduction, gros plan sur une industrie qui joue sur nos impulsions d’achat de Philippe Gendreau.


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