Sur le thème de l’immigration de travail, une table ronde à Blois a dressé le constat que les immigrés sont nécessaires au développement économique et au financement de notre modèle social.
L’économiste Juba Ihaddaden, président de Terra Nova Jeunes recommande non pas d’ouvrir les frontières à tous les vents, mais de maintenir le niveau d’ouverture actuel de notre pays à l’immigration en fléchant davantage les entrées vers l’activité économique. Crédit Jean-Luc Vezon.
Par Jean-Luc Vezon.
« C’est un sujet inflammable qui fait les choux gras de l’extrême droite. Mais nous avons choisi de l’aborder de façon positive sous un angle différent qui devrait faire consensus », a expliqué Louis Buteau, militant du Parti socialiste blésois à l’origine de cette première conférence intitulée « Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ? »
Organisée le 13 novembre dernier à la ferme de Brisebarre, celle-ci a fait le plein et sera suivie dans les semaines qui viennent par d’autres sur les thèmes du narcotrafic et de la sécurité, de l’accès aux soins et de la société d’héritage dans le cadre d’un cycle baptisé Les ateliers Suzanne Lacore, du nom de cette militante socialiste, l’une des premières femmes à faire partie d’un gouvernement en 1936.
Invité à présenter le rapport qu’il a coécrit en mai 2025 (1) sur cet épineux sujet, l’économiste Juba Ihaddaden, président de Terra Nova Jeunes, a apporté chiffres et clefs de compréhension. Depuis la révolution industrielle, on sait que la France fait appel à de la main d’œuvre venue de l’étranger : Belges, Italiens, Espagnols, puis plus récemment Portugais, Algériens, Marocains ou Turcs. Officiellement suspendue en 1974, la dynamique migratoire a été une composante structurelle de l’essor économique français.
« Les immigrés (2) représentent 12 % de la population active et 10,7 % de la population. Mais aujourd’hui, leur taux d’emploi est 7 points plus bas et celui du chômage 4 points plus haut à cause des discriminations » a d’abord précisé le conférencier. Employés de maison, agents de sécurité, cuisiniers, employés d’hôtellerie, médecins et même membres du clergé, ils sont très représentés dans un certain nombre de professions.
D’ici à 2030, les besoins de main d’œuvre seront encore plus importants dans des secteurs comme l’enseignement, la propreté ou le soutien des personnes âgées. Mais la dénatalité qui gagne notre pays (moins 100 000 naissances depuis 2017) (3) menace le ratio de soutien démographique qui se définit comme le rapport entre le nombre de personnes de plus de 60 ans et celui des 20-59 ans. En clair, l’avenir même de notre système de protection sociale.
« Dans un contexte de vieillissement démographique, de montée des besoins en services essentiels et de tensions croissantes de recrutement dans de nombreux secteurs, le recours à la main-d’œuvre étrangère sera décisif dans les années et décennies qui viennent si l’on veut maintenir le ratio de soutien entre actifs et inactifs à un niveau raisonnable permettant de pérenniser notre modèle social », a précisé Juba Ihaddaden.
À partir de données de l’INSEE, il a ensuite présenté différents scénarios de soldes migratoires à l’horizon 2040. Pour compenser les besoins, il faudrait ainsi passer de 223 000 immigrés de travail aujourd’hui à 310 000, voire 345 000. Cette évolution à la hausse est déjà en place en Italie par exemple, où la présidente du Conseil d’extrême droite, Giorgia Meloni, a signé le décret Flussi permettant l’entrée de 452 000 travailleurs immigrés par an.
Patrons pragmatiques
Cinq grands témoins loir-et-chériens ont ensuite apporté leur éclairage sur le sujet. La restauratrice Sabine Ferrand et Franck Bataille, président de la CPME 41 ont confirmé l’importance de cette ressource humaine venue de l’étranger, notamment dans les secteurs en tension (soins à la personne, nettoyage, BTP, logistique, informatique, santé). « Ce sont des collaborateurs motivés et volontaires pour s’intégrer. Nous les formons sans difficulté », a assuré Sabine Ferrand qui est aussi membre du CESER Centre-Val de Loire.

Sabine Ferrand et Franck Bataille, respectivement membre du bureau et président de la CPME 41, ont insisté sur l’importance de l’apport de l’immigration de travail dans les secteurs en tension. Crédit Jean-Luc Vezon.
Guillaume Le Roy, secrétaire départemental de la CFDT, a de son côté rappelé qu’avec un taux de chômage le plus bas de la région (6,3 % au deuxième trimestre 2025), les entreprises du Loir-et-Cher ont besoin des immigrés mais que ces derniers doivent bénéficier des mêmes conditions de travail que les autochtones. « Tout le monde ne peut pas exercer les métiers les plus difficiles et les moins qualifiés », constate aussi le syndicaliste.
Odile Garnier, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, a pointé les difficultés des personnes pour se faire régulariser : « C’est un parcours du combattant même dans les métiers en tension pour obtenir un titre de séjour ». Enfin, Corinne Kibongui-Saminou, secrétaire fédéral PS 41 à l’égalité a souhaité que le travail ouvre droit au séjour. Constatant l’inertie de l’État, tous ont souhaité plus de fluidité dans les procédures et de facilité pour embaucher.
Un débat avec la salle a ponctué cette rencontre très riche où il fut question de régularisation des sans-papiers, d’immigration, source d’enrichissement culturel, d’apprentissage accéléré et d’accueil personnalisé. Mais dans un climat où les immigrés sont souvent pointés du doigt, une politique d’intégration qui rend acceptable l’immigration reste bien à inventer.
(1) Avec Hakim El Karoui fondateur du cabinet de conseil Volentia, président du club XXIe siècle et expert associé de Terra Nova. Ex-conseiller technique au cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.
(2) Personnes qui ne sont pas nées en France.
(3) Avec 1,66 enfant par femme, notre pays reste cependant en 2e position en Europe derrière la Bulgarie.
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