Le dernier roman de Sarah Chiche, Aimer, puise comme beaucoup de ses précédents dans l’inspiration de l’amour et de la quête de la vérité. Que ce soit dans son premier roman L’Inachevée, ou dans Les Enténébrés et Saturne, l’auteure semble toujours faire articuler les protagonistes autour de la rencontre amoureuse, du besoin vital d’aimer et d’être aimé, de savoir d’où l’on vient, du deuil et du tragique de l’existence.
Sarah Chiche était venue à Orléans pour une séance de dédicaces début novembre. Photo : Charlotte Guillois.
Par Asmaa Bouamama.
Après avoir arpenté les chemins sinueux de l’enquête familiale, des tiraillements amoureux, Aimer est un roman heureux, un conte d’amour moderne pour adultes où l’amour triomphe. Elle avait promis « d’écrire un roman heureux à sa fille », confie-t-elle. Même si la plume de Sarah Chiche reste reconnaissable, ce roman marque une distance parcourue depuis L’Inachevée qui raconte le récit intérieur d’une jeune adulte hantée par le fantôme d’un père qu’elle n’a connu – « ni mort ni vivant » – puisqu’il décède alors qu’elle est à peine née. C’est le récit de la mélancolie et des secrets familiaux, des tabous et des ressentiments envers une mère écrasante.
Autant de thèmes que l’on retrouve dans Les Enténébrés, un roman qui reprend le thème de l’enfance douloureuse, du passé qui ne passe pas et qui menace le présent de n’être que tragique, au point de rendre l’amour effrayant et voué à l’échec. On pourrait penser que l’œuvre de Sarah Chiche est sombre ou pessimiste, mais c’est plus une symphonie qui, comme elle le dit souvent, cherche à « faire avec les deuils, à accepter d’être faits par le deuil ». Sarah Chiche le répète régulièrement : « Cette expression est erronée, on ne fait pas son deuil, on fait la cuisine, on fait ses courses, mais on fait avec le deuil ».
Plus que jamais, elle épouse le thème de l’amour
L’amour est pour l’auteure, « la grande énigme, l’éternel mystère » source de toutes les inspirations. « C’est l’énigme éternelle, ce petit chahut d’hormones, cette drôle de chose qui reste si opaque et si lumineuse ». Après avoir enquêté sur la relation de ses propres parents, sur ses tiraillements intérieurs, sur les deuils que coûtent les choix de la vie et de l’amour, Sarah Chiche marque un tournant avec Aimer. Elle quitte l’exploration des ténèbres pour un récit plus lumineux, sachant qu’il n’est pas à la mode d’écrire sur l’amour, dit-elle, à une époque aussi dure et violente, où les jeunes ne font plus l’amour. Tout en rappelant que l’amour ne se limite pas au charnel et qu’il existe mille façons de s’aimer.
Sarah Chiche prend le risque d’aimer
Sarah Chiche cite souvent la phrase de Melville, dans Bartleby : « Je préférerais ne pas ». Ne pas aimer, ne pas oser, ne pas vivre… L’auteure a exploré les passions, les incandescences, et les tourments, particulièrement dans Les Enténébrés et dans L’Inachevée, dans L’Emprise aussi où elle dépeint la relation d’emprise qu’un psychologue exerce sur sa patiente, histoire dont elle dira que peut-être, elle est le fruit d’une fiction, ou bien totalement vraie jusque dans les moindres détails. Ses romans tentent d’élucider ce qu’il y a de résolument inachevé et impossible dans les rencontres et les liens humains.
« Préférer la vie, c’est risquer la médiocrité, je suis de ceux qui, chaque jour, risque le métier de vivre, et vont tenter d’en faire quelque chose de beau, de digne », confie Sarah Chiche, avant d’ajouter qu’on n’opte pas pour la vie une fois pour toutes, que la vie est faite d’embûches, de recommencements imposés, de déconstruction et de recomposition. Toute son œuvre relève le défi de regarder en face les ténèbres de l’existence et de les affronter. Avec Aimer, Sarah Chiche prend le risque d’aimer et de faire quelque chose de beau, de digne, d’audacieusement lumineux à une époque où il n’est pas à la mode de rêver, ni de reconnaître le besoin vital d’aimer et d’être aimé.
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