Patrice Douchet retrace ses quarante ans à la direction du théâtre de la Tête noire

Après 40 ans à la direction du théâtre de la Tête noire (TTN) de Saran, le metteur en scène Patrice Douchet a définitivement tiré sa révérence il y a quelques mois déjà. Nous lui avons demandé de revenir sur son parcours, de nous confier ses états d’âme et ses projets.
  

Patrice Douchet se tourne désormais vers d’autres projets. ©DR


Propos recueillis par Philippe Emy

 

Auriez-vous imaginé il y a 40 ans être dans le même théâtre et y perdurer au même poste ?

Patrice Douchet : Non, je suis quelqu’un qui vit dans le présent, je ne me projette jamais dans l’avenir, à cette époque je vivais ce que j’étais en train de vivre. On m’a souvent demandé pourquoi je n’avais pas postulé ailleurs pour diriger un autre théâtre plus important. Est-ce que l’on peut imaginer être l’homme ou la femme d’un seul théâtre dans la vie ? Oui, je ne me suis jamais ennuyé, je n’ai jamais été attaché à un endroit, j’ai beaucoup voyagé, mais le TTN est mon port d’attache.


Comment devient-on metteur en scène et directeur de théâtre ?

J’étais professeur des écoles. Tout a commencé par la politique en sympathisant avec certains mouvements non violents et anarchistes. On utilisait le théâtre de rue lors d’interventions auprès des grévistes lors de manifestations. De fil en aiguille, je me suis piqué au jeu, de jouer, d’écrire, puis j’ai eu la proposition d’être engagé dans une compagnie de théâtre jeune public, le Mobil théâtre dirigé par Jacques Le Ny. Je me suis mis en disponibilité de l’Éducation nationale et ai travaillé avec Jacques pendant deux ans. Ensuite j’ai créé avec Gérard Audax une première compagnie puis quelque temps plus tard, j’ai monté le TTN. Au départ, rien ne me destinait à faire du théâtre, j’ai alors fait l’école Charles Dullin à Paris qui m’a permis de comprendre que je n’avais pas envie d’être comédien mais plutôt de faire de la mise en scène et de m’intéresser à l’écriture, la mienne (j’écris depuis l’âge de 16 ans) et celle des autres. Naïvement je pense que l’on peut changer le monde avec la culture, l’art, le théâtre, petit bout par petit bout.


Que disent de vous vos succès ou vos échecs ?

Il y a écrit sur la porte de mon bureau une phrase de Samuel Beckett que j’aime beaucoup : « Rater, rater encore, rater mieux. »

Il y a eu des succès qui ont marqué comme Bouli-Miro, Hiroshima mon amour, ou Scènes de chasse en Bavière et d’autres… En même temps l’une de mes réussites c’est tout le travail que j’ai mené avec le groupe de paroles d’habitants de la ville de Saran depuis plus de 10 ans. C’est un groupe informel, composé surtout de femmes, d’origine très diverse, avec quelquefois des parcours de vie fracassés. J’avais proposé, plutôt que de parler toujours de misère, de parler d’amour. Après de nombreuses réticences, nous avons pu monter ensemble un spectacle (L’Amour à la plage) où elles sont montées sur scène.

Pour les « échecs », je pense qu’il y a un public juste, par rapport à une proposition. S’il y a dans la salle 20 personnes et que j’en attends 50, je ne me dis pas où sont les 30 autres. Qu’il y ait une personne ou mille c’est la même chose. Je ne suis pas comptable. Si la billetterie est catastrophique, je ne me gâche pas la soirée. Je l’ai appris de maître comme Armand Gatti. Ceux qui sont venus n’ont pas à être pénalisés. J’ai eu des déceptions mais ça ne me rend pas triste. J’ai toujours privilégié la création plutôt que l’après création.


Le TTN est une Scène conventionnée d’intérêt national Art et création pour les écritures contemporaines. Vous êtes maintenant reconnu comme un spécialiste de l’écriture contemporaine de théâtre en France.

Les auteurs et les autrices sont à la base de tout, ce sont des visionnaires qui écrivent des histoires où je cherche le propos politique, poétique que j’ai envie de raconter. J’ai beaucoup monté des textes de Marguerite Duras, ses livres me lisent, l’histoire qu’elle raconte c’est la mienne, c’est mon univers. Mais aussi, je travaille depuis longtemps avec Claudine Galéa qui est pour moi la meilleure auteure de théâtre contemporain en France. Les textes des auteurs et autrices contemporains sont accueillis à la Tête Noire avec générosité, sincérité et vérité, on ne fait pas de mode. Je me fous que les auteurs soient connus ou pas, ou qu’ils apportent quelque chose de nouveau ou pas. Beaucoup d’auteurs ont ainsi été aidés pour la première fois.


Que penser de toutes ces années et quel avenir pour vous et pour le TTN ?

L’originalité du TTN, c’est d’être un entre-deux entre la compagnie et la structure institutionnelle. Je n’ai pas fait tout tout seul, mais avec une équipe, avec des figures comme Marie Landais, Sylvie Gauduchon, Damien Grossin, des techniciens, des auteurs qui ont participé grandement à la réussite du TTN.
Maintenant je souhaite écrire, continuer de mettre en scène, m’occuper de ma compagnie. Il y a plusieurs spectacles prêts à tourner. Le TTN va perdurer, je souhaite que mon départ de la direction n’impacte pas l’avenir. Le projet de la nouvelle directrice Tiphaine Piffault-Guitton est aussi intéressant que celui qui était le mien. Elle a su capter le terreau sur lequel elle arrive, elle a envie d’écrire une nouvelle histoire sans renier l’ancienne, ce qui est rare. Le théâtre appartient à un public. Bientôt, pour réfléchir, je vais faire seul ou accompagné, à pied, pendant trois semaines le tour de la Bretagne.


Plus d’infos autrement :

Tiphaine Guitton, artiste et future directrice du théâtre de la Tête Noire de Saran

 

 

 

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