« Kika », un magnifique portrait de femme

Alexe Poukine nous emmène dans la vie de son personnage, une assistante sociale très ordinaire. Face à des difficultés, elle découvre une autre assistance plus lucrative, le BDSM. Kika joue la dominatrice, mais reste marginale dans ce milieu étrange. Manon Clavel porte ce rôle avec une intensité et une humanité formidables.

Kika (Manon Clavel) et sa fille. Photo Wrong Men



Par Bernard Cassat.


Kika est avant tout un portrait de femme. Une femme belge, jeune, assistante sociale, donc très au fait du care. Dans une institution qui rame tant les bénéficiaires sont nombreux, elle ne peut que faire son boulot alors qu’elle a souvent envie de faire plus. Très touchée par certains cas des dossiers qu’elle suit, elle s’investit même au point d’aider une femme virée de chez elle, une voyante lunaire. La réalisatrice Alexe Poukine installe ce personnage de Kika dans des séquences réalistes, simples, sans ambiguïté. On est d’emblée dans sa vie, son boulot mais aussi sa famille, entre sa fille et le père de sa fille. Une vie ordinaire bien remplie par une femme pleine d’énergie.

Ce film à caractère social va bien vite se doubler d’une histoire d’amour. Kika rencontre un beau réparateur de vélo. Ils se retrouvent coincés dans le magasin. Par un montage précis, Kika regarde les fesses du réparateur et c’est le début de leur histoire. Une très belle histoire. Les deux acteurs sont remarquables, Makita Samba dans le rôle de David et surtout Manon Clavel dans celui de Kika. Elle est d’une évidence désarmante, a une présence à l’image incroyable et chacune de ses répliques semble improvisée. Mais le scénario casse brutalement cette love story.

Kika et son nouveau copain David. Photo Wrong Men.


David décède, crise cardiaque. Kika tombe alors dans une autre histoire. Une bénéficiaire de l’aide sociale lui confie que pour se financer, elle vend ses culottes sales. Kika garde l’idée et quelque temps après, essaye à son tour. Et ça marche. Elle entre ainsi dans un monde autre, celui des rapports tarifés et bizarres de gens perdus, pleins de fantasmes, qui ont besoin d’humiliations pour continuer à vivre. Petit à petit, Kika avance dans cet univers et rencontre d’autres femmes qui font comme elle. Elles l’initient de plus en plus. Notamment Rasha, qui joue à fond son rôle de dominatrice.

Son premier client. Photo Wrong Men.


Mais Kika garde la tête froide. Ces moments de rencontres tarifées ne forment pas un troisième film. Le scénario avait préparé le glissement. Kika et David, au début de leur relation, se rencontraient pour des 5 à 7 dans un hôtel assez particulier propice à des passes luxueuses. Tout près, dans la réalité, du Parlement européen de Bruxelles. Les gens qu’elle contacte ensuite par internet sont des paumés riches et malheureux. Kika se laisse entrainer par Rasha dans une séance étonnante chez un particulier qui retourne au petit enfant. Et elle atteint là une de ses limites. Au-delà de jouer le rôle de la mère, elle est incapable de donner de l’affection.

Kika fait son book coquin. Photo Wrong Men.


Plus tard, une grande séquence à la fois étonnante et mystérieuse la fait passer de l’autre côté. Elle demande à Rasha de la frapper. Comme il faut suivre une psychanalyse pour devenir psy, elle entre dans l’arène en tant que victime pour voir. C’est troublant, mais en même temps remarquable. Alexe Poukine n’indique rien d’autre que la volonté de Kika de se mettre à la place des frappés. On n’en sait pas plus.

Les choses deviennent plus sérieuses. Photo Wrong Men.


C’est en fait dans cette modestie de message que le film est fort. Le réel est d’abord cerné, ensuite viennent les variations sur le care, justement. Parce que le sado-masochisme est mis dans cette lignée. Il ne s’agit pas de suivre Kika la miséreuse réduite à la prostitution. Il s’agit de comprendre par son regard intelligent et aiguisé les difficultés humaines, les découragements et les solutions que chacun trouve pour les surmonter. Kika, elle, ne se démonte jamais, même dans les moments durs. Elle essaye toujours de comprendre. Et elle a du mal à jouer le rôle de dominatrice, s’excusant, dans des répliques drôles et gentilles, d’insulter ses « patients ». Elle apprend et nous fait découvrir. Elle rappelle que le sado-masochisme est un jeu social, un jeu bizarre et douloureux dont certains ont besoin pour surmonter leur peur de vivre. On se dit que Kika ne sera jamais à la hauteur de Rasha, ne deviendra pas une vraie dominatrice. La vie sociale l’intéresse trop.

Un film rare et étonnant, dynamique comme son personnage. Une très belle réussite.


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