Violences sexistes et sexuelles : un fléau structurel que la France ne parvient toujours pas à endiguer

En 2024, 1 371 000 femmes ont subi du harcèlement sexuel, soit une toutes les 23 secondes, et 277 000 ont été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol, soit une toutes les 2 minutes. Ces chiffres issus du rapport annuel de l’Observatoire national des violences faites aux femmes composent un tableau inquiétant : en France, les violences sexistes et sexuelles demeurent structurelles et massives.

Les derniers chiffres relatifs aux violences faites aux femmes révèlent une réalité dont l’ampleur ne peut plus être ignorée. Illustration ©Freepik

 

Par Charlotte Guillois.

 

Derrière ces données brutes, le rapport rappelle que les violences ne sont ni des accidents ni des actes isolés. Elles s’inscrivent dans un continuum qui commence par des remarques sexistes et des comportements banalisés, se poursuit dans le harcèlement, puis culmine dans les agressions sexuelles et les féminicides. Les mêmes ressorts de domination masculine, de contrôle et d’emprise irriguent l’ensemble de ces actes. 

Le rapport montre aussi que les minorités sont plus exposées. Orientation sexuelle, couleur de peau, handicap, précarité ou origine sociale sont à prendre en compte. Les personnes bisexuelles sont trois fois plus susceptibles d’être victimes de violences sexuelles que les personnes hétérosexuelles, les personnes gays ou lesbiennes deux fois plus, et les personnes en situation de handicap deux fois plus que les personnes non handicapées. Ces écarts montrent que les VSS s’inscrivent dans l’entrecroisement de plusieurs discriminations, et qu’une analyse véritablement efficace doit être intersectionnelle.

Féminicides : un échec de la protection des victimes

Chaque année, le bilan des féminicides met en lumière l’insuffisance des mesures de protection existantes. En 2024, 107 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. À ce chiffre s’ajoutent 270 tentatives de meurtre et 906 suicides ou tentatives de suicide liés au harcèlement d’un conjoint ou ex-conjoint, portant à 1 283 le nombre total de victimes directes, indirectes ou survivantes de féminicides.

Parmi ces 107 femmes, près de la moitié avaient signalé des violences avant d’être tuées. Pourtant, seules quatre d’entre elles bénéficiaient d’un dispositif de protection au moment des faits. Cette réalité soulève une question essentielle : comment se fait-il qu’en 2024, des femmes identifiées comme en danger puissent encore mourir sous les mains de leur agresseur alors qu’elles devraient être protégées ? Les dispositifs sont-ils attribués trop tard ? Trop rarement ? Sont-ils mal coordonnés ou insuffisamment financés ? Ce décalage entre théorie et pratique interroge profondément la capacité de l’État à assurer la sécurité des victimes.

Par ailleurs, les femmes ne sont pas les seules victimes : 94 enfants sont devenus orphelins de mère, de père ou des deux en 2024. Les répercussions, familiales et sociales, s’inscrivent sur plusieurs générations.

Le traitement judiciaire : une prise en charge en progrès, mais qui reste insuffisante

Dans les services de police et de gendarmerie, les enregistrements confirment la gravité de la situation. En 2024, 110 125 victimes de violences sexuelles ont été recensées, les agresseurs étant, dans la quasi-totalité des cas, des hommes.

Sur le plan judiciaire, les chiffres révèlent un gouffre entre le nombre de victimes et celui des condamnations. Sur les 89 000 viols déclarés, seuls 46 297 sont enregistrés. 18 781 auteurs sont identifiés, mais à peine 1 665 condamnations sont prononcées. Le constat est similaire pour les violences conjugales, avec 271 848 victimes enregistrées et seulement 42 229 condamnations.

Autrement dit, le rapport dévoile un entonnoir pénal où la grande majorité des affaires d’agressions sexuelles aboutissent à un non-lieu. Le rapport ne fournit pas de pourcentage exact, mais au regard des données, le taux de condamnation pour viol apparaît extrêmement faible, ce qui remet en cause l’efficacité du système judiciaire.

Un rapport riche, mais qui laisse des zones d’ombre

Plusieurs aspects législatifs concernant le viol demeurent problématiques, sans pour autant être soulevés dans le rapport. Dans la majorité des cas, la procédure pénale repose sur la parole de la victime contre celle de l’agresseur, ce qui rend extrêmement difficile l’établissement de la preuve. Cette configuration met en lumière les limites de la loi : une définition longtemps imprécise du viol, des exigences probatoires très élevées et une prise en compte encore trop partielle du traumatisme des victimes. Ces failles contribuent à expliquer le nombre extrêmement faible de condamnations au regard du nombre de violences sexuelles déclarées.

La loi du 6 novembre 2025, qui redéfinit le viol et inscrit dans le texte le principe d’un consentement libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable, constitue une avancée majeure, mais son application concrète reste à observer.

Enfin, la déclaration d’Aurore Bergé, placée en ouverture du rapport et présentant l’égalité hommes-femmes comme la « Grande cause des deux quinquennats du président de la République », soulève des interrogations quant à la cohérence du discours. Il semble qu’elle contraste avec la volonté d’Emmanuel Macron d’imposer des devoirs de visite des pères, même en cas de violence, qui avait été vivement critiquée par les associations, qui y voient à juste titre un risque accru pour les mères et les enfants.

Les dispositifs existent, mais ne sont pas toujours attribués à temps, ni déployés de manière homogène sur le territoire, et encore moins dotés des moyens nécessaires. Les violences sexistes et sexuelles demeurent ainsi l’un des symptômes les plus flagrants d’un système de domination qui persiste, année après année.

 

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Commentaires

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  1. Assez de tous ces rapports, de toutes ces statistiques sur ces crimes ! Chaque année c’est pire que la précédente et l’on fait quoi ? RIEN. J’attends avec impatience et crainte les stats de l’année prochaine… Est-ce que sur ce thème comme sur bien d’autres où l’on pédale dans la semoule on pourrait enfin avoir quelque efficacité ? Car, quelque soit le problème de société que nous avons à affronter, je constate une incapacité totale à y faire face. Or, si je prend en compte l’évolution gravissime de tous ces phénomèmes sociétaux, plus ils s’intensifient moins on y répond.

  2. Là, il s’agit des chiffres « officiels », des données que j’ai du mal à comprendre… ou que je comprends trop bien :
    — Sur les 89 000 viols déclarés, seuls 46 297 sont enregistrés. 18 781 auteurs sont identifiés, mais à peine 1 665 condamnations sont prononcées.
    — Le constat est similaire pour les violences conjugales : 271 848 victimes enregistrées, et seulement 42 229 condamnations.
    Comment ne pas voir l’incohérence d’un tel système ?
    J’ai envie de dire, si Magcentre me le permet : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? »

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