Prix Goncourt 2025 : « La maison vide », ou comment un non-dit façonne les générations

Dans La Maison vide – éditions de Minuit, prix Goncourt 2025 –, Laurent Mauvignier, écrivain originaire de Touraine, situe son récit à La Bassée, double fictionnel de la ville de Descartes. Une maison de famille y devient la caisse de résonance de secrets enfouis. Le roman montre l’impact transgénérationnel des non-dits, et leur influence délétère.

Avec La Maison vide, Laurent Mauvignier s’est penché sur les zones d’ombre familiales – photo Mathieu Zazzo


Par Izabel Tognarelli.


Quelle famille n’a pas ses secrets, ses silences, ses non-dits ? Nous sommes sans doute la première génération à disposer simultanément d’une diffusion massive de la culture psychologique, de travaux désormais bien établis sur les transmissions traumatiques et de la possibilité de recueillir, archiver, vérifier des traces (journaux, enregistrements, généalogies, données médicales). Cet ensemble, allié à un rapport plus détendu à la parole, à la thérapie, à l’intime, rend visibles des mécanismes longtemps restés dans l’ombre et que nous ne pouvons plus ignorer.

Une maison qui en dit plus long que ses habitants

Avec La Maison vide, Laurent Mauvignier poursuit son exploration des silences qui, telle une gangrène, rongent les familles de l’intérieur. La force du roman tient dans cette manière de montrer comment un non-dit agit de façon diffuse, poisseuse, et se dessine plus souvent par strates – d’une génération à l’autre – que par révélations spectaculaires. Le récit plonge dans les effets que produit ce silence : culpabilité, réminiscences, rancœurs, mais aussi maladies et suicides. Et en même temps, ce silence suinte, se fissure, cherche à percer.

Dans la maison familiale de La Bassée, territoire fictionnel récurrent de l’œuvre de Laurent Mauvignier, le premier indice réside dans une série de photos où le visage de Marguerite, sa grand-mère, a été découpé, comme si quelqu’un avait voulu effacer toute trace de son passage sur Terre. Le second indice est une tache sur le parquet d’une chambre : du sang que l’on a tenté d’effacer jusqu’à user le bois, laissant dans les stries des incrustations sombres impossibles à cacher. Ceux – quels qu’ils soient – qui ont voulu effacer la vérité en ont malgré eux dessiné les contours les plus nets.

Qu’importe le bandeau, pourvu qu’on ait l’ivresse – photo Izabel Tognarelli

L’écriture ou l’art de faire parler les absences

Pour autant, le silence demeure. Quelques maigres indices ne suffisent pas pour comprendre une réalité. Alors vient l’auteur, dont le rôle va consister à combler les vides, non en inventant n’importe quoi, mais en remontant patiemment le fil des traces et des omissions qui occultent la mémoire.

L’écrivain procède alors comme un peintre qui refuse les zones blanches et remplit l’espace, détail après détail, avec la minutie d’un Jérôme Bosch ou d’un Brueghel l’Ancien saturant leurs tableaux de micro-scènes. Mis bout à bout, ces fragments composent un monde : terrien, quotidien, parfois hallucinatoire, souvent visionnaire. À partir de presque rien – un visage systématiquement découpé, une tache de sang que l’on a tenté d’effacer –, il déploie une cartographie des possibles, d’où un récit souvent écrit au futur ou au conditionnel. Peu à peu se révèle ce que la famille avait tenté de rendre illisible, jusqu’à composer un paysage émotionnel plus vaste que les rares indices qui en ont été la porte d’entrée.

« Parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale (…) j’ai besoin d’en écrire une sur mesure », écrit Laurent Mauvignier au terme de cette enquête transgénérationnelle. Il ne s’agit pas d’y voir ce qui a été vécu, mais de se rapprocher de la vérité, sortir de cette zone grise et hantée où se rejoue, livre après livre, génération après génération, le silence, la honte, les traumatismes familiaux ; reprendre possession de ce qui a été tu afin de s’en libérer. À moins d’accepter que, d’une génération à l’autre, le destin d’un ou plusieurs membres de la famille soit fracassé.

Laurent Mauvignier était de passage à Orléans

Laurent Mauvignier Cinéma des Carmes Orléans cl Charlotte Guillois


Vendredi 28 novembre, Laurent Mauvignier était à Orléans, au cinéma des Carmes, pour une séance de dédicaces, une rencontre animée par Sophie Todescato de la librairie Les Temps Modernes, ainsi que pour la projection de Continuer de Joachim Lafosse, adaptation du roman éponyme de Mauvignier. Une longue file d’attente s’est d’abord formée pour les dédicaces, avant que le public ne prenne place dans une salle presque comble pour assister à l’entretien avec l’écrivain. Qualifié de « grand livre » par Sophie Todescato, La Maison vide a profondément marqué les lecteurs : beaucoup sont revenus échanger avec la libraire au fil ou au terme de leur lecture. Elle explique cet engouement par la force du texte, affirmant que ce roman est avant tout « une rencontre avec l’écriture, dans laquelle les lecteurs se reconnaissent. »


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