« Dites-lui que je l’aime », le nouveau film de Romane Bohringer, est en salle depuis le 3 décembre. L’actrice-réalisatrice a présenté son œuvre au festival du TAP à Poitiers, où la salle comble a longuement applaudi ce récit intime et bouleversant qui explore sa propre histoire.
Romane Bohringer et Clémentine Autain, deux femmes aux histoires familiales meurtries. ©Escazal Films
Par Asmaa Bouamama.
C’est une histoire qui puise sa source dans le roman de Clémentine Autain, députée du Nouveau Front populaire et féministe engagée, qui, contre toute attente, écrit un livre non pas sur la politique mais sur son enfance et sur sa mère Dominique Laffin, actrice à succès des années 1970 en proie aux addictions, à l’alcoolisme et à la dépression. « Être mère était son plus mauvais rôle », dit Clémentine Autain. Le film de Romane Bohringer est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes aux mères très similaires, toutes deux incapables d’élever une enfant. La mère de la réalisatrice abandonne sa fille alors qu’elle n’avait que neuf mois.
Le film commence par une femme qui, un soir, entend à la télévision la députée parler de son livre. Elle est immédiatement prise par une irrésistible impulsion et peut-être nécessité viscérale d’adapter cette histoire au cinéma. Les deux femmes se rencontrent, et les deux histoires vont s’entrelacer, à la lumière de la voix de Clémentine Autain qui tantôt lit son livre, tantôt sert d’éclaireuse à Romane Bohringer pour dire son passé d’enfant à une psychanalyste, ou cesse de parler tant elle est émue.
Une rencontre et le partage d’une même blessure
Face à la salle de Poitiers, Romane Bohringer dit de cette histoire intime qu’elle n’aurait jamais pu s’exhiber à ce point si elle n’avait pas eu « l’instinct » que c’était l’histoire de chacun. « J’ai rêvé que cette histoire soit celle d’autres personnes et que ce film soit une forme de communion avec le public ». Lorsque Romane Bohringer découvre le livre de la députée, c’est une révélation. À tel point que ce film n’aurait pas été possible sans Clémentine Autain. « C’est le livre qui m’a servi de guide. Clémentine me tenait à chaque étape pour m’indiquer les chemins à prendre pour entrer dans cette histoire, comment la structurer et la délivrer. C’est en lisant ce livre que j’ai pensé qu’il y avait là le film que j’avais à faire », se livre l’actrice.
Romane Bohringer présente en avant-première son film au festival TAP de Poitiers ©A.B
Difficile de ne pas penser alors à la même phrase au tout début du film qui s’ouvre avec un passage de l’émission de Laurent Ruquier, dans laquelle Clémentine Autain parle de son livre, et où Christine Angot, alors chroniqueuse dans l’émission, assure qu’il y a des livres dont on sait qu’ils ont été écrits par des gens qui « avaient » à les écrire dans leur vie. Le film de Romane Bohringer suit cette création par le prisme d’une nécessité, presque d’une urgence artistique à mettre du sens sur une enfance dévastée par une figure de mère souffrante, manquante et mystérieuse, qui ne dira jamais les mots de son mal de mère. « Quand je vois le visage de ma mère au cinéma sur grand écran, je me dis que ça m’a fait du bien en tant que mère, que femme, que réalisatrice. J’ai l’impression d’avoir rendu justice à cette vie brisée trop tôt. Je sais que ce geste de faire ce film était appelé », confie la réalisatrice.
Un film qui prend le risque de chercher une vérité
Tout le film est alors, derrière une mise en abyme d’une femme qui veut faire un film, avant tout une quête de vérité, de souvenirs, de sens. Sans aucun ressentiment ni dépressivité, meublé de flash-back et de confessions des deux femmes, il prend l’allure d’une enquête lorsque les membres des familles se cherchent, se contactent et se parlent, lorsque les silences sont cassés et les deuils s’ouvrent. C’est aussi à ce moment que l’on comprend le sens du titre du film, et les similitudes en miroir entre les deux petites filles qu’étaient Romane Bohringer et Clémentine Autain, devenues des femmes qui se parlent et regardent ensemble ce douloureux passé. Ce film brise aussi un tabou de la mère qui n’y arrive pas, qui dit dans une scène à sa fille : « Je t’aime tellement mais je n’y arrive pas ». Le tabou des mères qui peuvent laisser à leurs enfants plus de tiraillements et de peines que d’amour et de vie.
Dans son second long-métrage, Bohringer se confronte à son passé et à la douleur de l’abandon.
©Escazal Films
Vers la consolation et la restauration d’une enfance triste
Le film relève le défi d’aborder une histoire douloureuse sans une once de négativité et de noirceur. Il n’y a rien de mortifère dans l’histoire et ce n’est pas une ode à l’exhibition victimaire mais au contraire une renaissance à soi qu’ont osé les deux femmes, à trouver un sens à l’histoire du malheur de leurs mères. « Avec le temps, j’ai pu voir toute la beauté et la sauvagerie qu’elle m’a laissée. C’est un film qui parle de restauration et de réparation, avec ce qui est à notre portée quand on a assez de force pour le regarder. C’était très important pour moi que le film reflète cette restauration, il fallait réenluminer cette face un peu sombre de ces deux femmes, et leur rendre leurs couleurs et leurs reliefs », confie Romane Bohringer. Si le film est très pudique dans ses couleurs, ses plans épurés et sa mise en scène parfois théâtrale, il est un voyage émotionnel fort et tumultueux mais étonnamment doux, parfois drôle, et surtout grandement beau, en évitant tous les clichés ou les facilités du biopic psychanalytique sur l’enfance douloureuse. Tout en pudeur et en tendresse, c’est un film d’un grand pouvoir de consolation.
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