Handicap visuel : vers une pénurie de profs de braille ?

À l’heure où le braille fête ses 200 ans cette année, cette écriture universelle est de moins en moins enseignée faute de professeurs spécialisés. Une réalité alarmante, accentuée par la révolution du numérique, qui aurait pour conséquence la disparition pure et simple de l’écriture en braille.

Marie-Laure Fuhrer est enseignante spécialisée. Elle apprend le braille à des enfants et jeunes adultes comme ici avec Valentin. Photo MLF


Par Estelle Boutheloup
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Aujourd’hui, c’est mercredi. Et comme chaque semaine depuis fin septembre, Marie-Laure Fuhrer a rendez-vous avec Valentin pour un de ses cours hebdomadaires. Déficient visuel, le jeune homme de 27 ans apprend le braille dans le cadre d’un projet professionnel, enseignement sans lequel, selon lui, son intégration serait compliquée. Alphabet, machine à écrire Perkins, plage braille électro-mécanique, bloc-note connecté… l’enseignante met à sa disposition différents outils. « Selon l’âge et les vécus, la motivation est différente et la durée d’apprentissage peut aller de 6 mois à 3-4 ans », explique Marie-Laure. « On ne peut pas dire que le braille soit difficile à apprendre. C’est un code, comme une langue des signes, qui demande de la mémoire. Un enfant qui naît aveugle rentrera dans le braille plus facilement qu’un adulte qui le devient : il y a une part de psychologie, certains ne veulent pas apprendre parce qu’ils sont dans le déni »

Valentin est « chanceux » : il a lui, ainsi que les enfants que Marie-Laure accompagne, un professeur ! Ce qui est rare aujourd’hui. Car s’ils sont une dizaine tout au plus en Centre-Val de Loire, certaines régions de France en sont dépourvues… Un constat jugé « scandaleux » par l’ANPEA (Association nationale des parents d’enfants aveugles) dans une enquête de 2021 sur l’accompagnement des enfants et jeunes aveugles ou malvoyants : « En moyenne, il y a un enseignant spécialisé pour 18 enfants suivis (…). Un enseignant spécialisé devrait suivre au maximum 10 enfants pour proposer un suivi de qualité. Ce qui signifie que des enfants ayant besoin du braille et d’un accompagnement spécifique pour leur scolarité en sont privés. (…). Cela remet en question l’accès au droit à l’éducation pour tous en France. »

Pour Michel Brard, président de la Fédération Déficiences Visuelles & Autonomie et secrétaire général de la Fédération des Aveugles de France, le besoin et l’usage dans la vie quotidienne, sont deux critères fondamentaux pour apprendre le braille. Photo Estelle Boutheloup

Aucune donnée du ministère

Quand il perd la vue à 13 ans suite à une allergie médicamenteuse (syndrome de Lyell), Michel Brard, président de la Fédération Déficiences Visuelles & Autonomie et secrétaire général de la Fédération des Aveugles de France, apprend le braille. « En 1971, les ordinateurs n’existent pas, j’apprends sur une tablette en métal avec une réglette de deux lignes et j’écris avec un poinçon : un symbole égal une lettre. Une écriture à 6 points qui permet de faire 64 combinaisons que l’on lit avec la pulpe de l’index, partie la plus sensible dans la relation cerveau-main. » Depuis, le braille a évolué : machine à écrire, documents inclusifs avec des livres et des dessins en relief, et depuis les années 2000, des outils connectés reliés à l’ordinateur, assistant vocal… « Le braille n’est pas imposé, c’est un choix », poursuit Michel Brard. « Et tous ceux qui en ont eu besoin et l’ont utilisé ont été très aidés dans leur parcours de vie et leurs études. »

Vecteur d’émancipation et d’autonomie, l’accès au braille est l’un des chevaux de bataille de La Maison de la Déficience Visuelle et de l’Autonomie Centre-Val de Loire (MDVA). Ainsi, cours et apprentissage y sont donnés par deux professeurs spécialisés parmi une palette d’interventions proposées et un pôle de formations unique en France. « Maîtriser son environnement, c’est apprendre à le repérer », poursuit l’ancien kiné-ostéopathe. « Et ne pas apprendre le braille ajoute un manque à un manque existant. » S’il est considéré qu’en France, 2 millions de personnes sont atteintes de pathologies invalidantes dont 65 000 en Centre-Val de Loire, seules 15% des personnes déficientes utiliseraient le braille. Chiffres au conditionnel… « On ne connaît pas la réalité des chiffres, juste des estimations. On n’a pas de données du ministère : on demande à avoir accès à des données sur les besoins, les types de déficience, rien… ! Ce que l’on sait, c’est que les profs partent à la retraite et ne sont pas remplacés. »

4 millions de déficients visuels dès 2030

De moins en moins de professeurs ; peu, voire pas, de braille dans les espaces publics (transports, toilettes…), ni sur les documents et toute offre qui génère de l’information… Face au manque d’attrait et de considération pour le braille, la MDVA et les acteurs du réseau tentent de porter un dispositif numérique en braille ou en gros caractères pour encourager et développer son usage : « mais sans moyens c’est compliqué avec des baisses de dotations partout… » Pourtant, le nombre de personnes à déficience visuelle et sensorielle augmente avec le vieillissement de la population : un doublement est attendu en France entre 2030 et 2050 (soit 4 millions de personnes concernées). « Mais pour qu’il y ait du braille, il faut qu’il y ait des gens qui le pratiquent et l’enseignent. Et avec le numérique et la pratique vocale, le braille ne devient plus utile. » Autre frein, les aides à l’acquisition du matériel, coûteux (entre 2 000 € et 8 000 € pour une plage tactile), qui tombent pour les plus de 60 ans. « Pourtant l’écriture et la lecture apportent précision et mémoire tactile. Perdre l’usage du braille c’est comme si à l’école, on ne faisait qu’écouter, qu’on apprenait qu’avec des images ou l’ordinateur, et que l’on n’écrivait plus. » 

Alors qu’en 1975, la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées annonçait pour la première fois l’obligation à l’éducation des enfants handicapés, la réalité 50 ans plus tard est tout autre. « Aujourd’hui, on a des enfants sans solution par manque d’enseignement spécialisé et 20 ans après la loi de 2005 qui stipulait qu’en 2010, la barrière de l’âge tomberait, elle toujours là ! », pointe Michel Brard. « Ce qui pose problème sur l’accompagnement et la compensation : le reste à charge fait que ces personnes ne vont pas au bout de la démarche car c’est trop cher. »

Vous êtes intéressés pour enseigner le braille, appelez la MDVA au 02 38 66 11 65.


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