Bi Gan est devenu réalisateur presque par hasard. Mais son amour et sa connaissance du cinéma éclatent dans son film, un vaste voyage dans les brumes du rêve à l’écran. Techniquement soigné et très réussi, les enchaînements de moments et d’ambiances différents construisent un regard très personnel sur le 7e art.

Le train, véhicule du voyage. Photo Films du Losange
Par Bernard Cassat.
L’introduction est claire : une fumerie d’opium dans une Chine révolue, peut-être il y a un siècle. Le film est une grande variation sur le rêve, la rêverie, l’imagination, mais surtout sur les images qu’ils inventent. Donc le cinéma. Par l’intermédiaire d’un « rêvoleur », ce personnage de fumeur d’opium ou de consommateur d’autres drogues qui échappent au monde de la réalité pour voyager dans leur esprit.
Des citations de grands noms de cinéma
Et rapidement, les fondamentaux du cinéma mondial s’imposent dans l’image : L’arroseur arrosé, reconstitué avec humour dans une image d’Epinal chinoise. On verra la suite et fin du petit film des Lumière dans la dernière partie de Résurrection. Et un croissant de lune de Méliès dans le fatras post industriel très film documentaire de Wang Bing, ces usines déglinguées qui marquent à la fois la fin d’un monde et l’échec social du communisme. Tout au long du film, il y a des clins d’œil, parfois très appuyés, à des cinéastes du XXe siècle. Au début notamment, des images à la Fritz Lang, dans le style expressionniste allemand des années trente. Mais surtout Orson Welles et sa fameuse séquence de meurtre dans les glaces de La Dame de Shanghai. Avec un Japonais à la place de Rita, ces Japonais qui ont martyrisé Nankin, entre autres. De plus, toutes les séquences autour du jeu, des pouvoirs des faussaires, des tromperies des joueurs font partie des thèmes de prédilection du réalisateur américain.

La solitude du rêveur. Photo films du Losange.
Le malheureux rêvoleur va quand même subir tout au long du déroulement des situations très inconfortables. Une rage de dents, seul dans un monastère bouddhiste abandonné, par exemple. Qui va se terminer bizarrement par un dialogue avec sa dent. Ce qui n’empêchera pas le train de rouler, puisque le rêve est un voyage. Même si dans ce train, il se passe des traques violentes qui finissent mal. Mais ne sont jamais rédhibitoires, puisque révées.

Un monde post industriel. Capture de la bande annonce.
Toutes les séquences avec l’enfant qui lui sert à tricher au jeu de cartes sortent de l’ambiance de la fumerie du début. Le jeu continue, bien sûr. Et rapporte. Mais on est là vraiment dans le cinéma chinois, autant au niveau des décors, des prises de vues, des couleurs que de l’ambiance moderne de la Chine vue dans les films du XXIe siècle. Le hall de gare, lieu magnifique où se déroule la rencontre de la fille et le vol d’argent, fait partie de tous ces lieux incroyables que Bi Gan a trouvés. Réels mais portant en eux la nostalgie du passé, la beauté du vieillot, du vintage. Le décor du train comme tous les labyrinthes sous-terrains du début laissent place à de magnifiques images dans des décors réels. Le format lui aussi change plusieurs fois selon les séquences, du carré de lumière aux gros plans en scope. Pour terminer dans la dernière partie, la dernière nuit du XXe siècle, dans un port sur un fleuve, avec un traitement en nuit américaine non pas sombre, mais rouge. Parce qu’il y a beaucoup de sang dans le film. Pas vraiment de violence à l’américaine, mais une allusion qui se précise à la fin aux vampires.

La vieille Chine. Capture bande annonce.
Cette dernière partie, où se déroule une grande affaire d’amour, parodie beaucoup des films chinois sur la jeunesse. Un karaoké bidon, avec son patron qui régente le monde de la nuit, ce monde parallèle où règnent les mafias et les blousons noirs en moto. Séquence qui se termine presque sur une allégorie merveilleuse, un couple enfin heureux qui s’embrasse sur un bateau qui part au premier soleil levant du XXIe siècle. Sauf qu’elle est vampire, et que son baiser dans le cou de son amoureux n’est pas innocent.

La manipulatrice. Photo Films du Losange.
Ce sera réparé de manière élégante par la costumière qui retransforme le jeune amoureux en loque du début, le révoleur de la fumerie d’opium. Qui devient cinéma avec les silhouettes des spectateurs s’éteignent une à une puisque le rêve est clos.
Magnifique voyage dans le cinéma mondial, Résurrection entraîne les cinéphiles dans leurs péchés mignons, les très belles images à regarder de près. Car ce film est peut-être un film-valise pour un voyage inédit, très beau mais qui demande une adhésion de départ, une acceptation des règles du jeu.
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