À Montargis, une autre vision de l’optique

Dans le sillage de Shein, la plateforme Blacksheep a annoncé début décembre l’ouverture de sa première boutique française, à Paris. Des promesses de low-cost, mais que devient le métier d’opticien quand l’optique se pense comme un produit jetable ? Geoffroy Balzeau propose une voie alternative, à prix abordable, avec même des lunettes sur mesure. Car il est aussi lunetier.

À Montargis, Geoffroy Balzeau exerce un métier devenu rare : opticien et lunetier, il vend des lunettes dont les montures, pour certaines, sont aussi conçues dans sa boutique – photo Izabel Tognarelli


Par Izabel Tognarelli.


Ouverte en 2018, la boutique Le coffret à lunettes abrite un métier devenu rare. Geoffroy Balzeau y exerce à la fois en tant qu’opticien, mais aussi comme lunetier. Il assure à ses clients la fourniture des lunettes, avec adaptation des corrections à partir d’une ordonnance, tout en fabriquant lui-même des montures. Les lunettes ne sont pas simplement vendues : elles sont pensées, ajustées et, parfois, fabriquées sur mesure.

Du temps, de l’expertise et de l’ajustage

La très grande majorité des montures vendues aujourd’hui en France provient de Chine. Geoffroy Balzeau en convient : « Pour les grandes marques, quand on demande 100 000 pièces, la Chine est plus à même de les fournir. Et il n’y a pas que du low-cost : on peut aussi y trouver de la qualité. »

De son côté, il a opté pour une autre voie : ses matières premières viennent d’Oyonnax, dans l’Ain, pôle historique et toujours actif de la lunetterie française. Mais la vraie différence se joue sur le temps passé, le centrage, l’ajustage. « L’expertise est nécessaire pour avoir des verres bien centrés, vérifier que l’on a les bonnes corrections et procéder aux ajustages, qui font partie du suivi. Avoir un bon ajustage, des lunettes qui tiennent bien sur le nez, c’est primordial », insiste-t-il. Et ça, forcément, ce sont des choses sur lesquelles on rogne quand on vise uniquement le volume.

Aux côtés de Geoffroy Balzeau, Jade – meilleure apprentie de France 2024 – est à très bonne école.

Le low-cost existe déjà… y compris chez les artisans lunetiers

Contrairement à une idée reçue, les opticiens indépendants ne sont pas réservés à une clientèle aisée. Depuis la réforme du « 100 % santé », entrée en vigueur en 2020, les lunettes peuvent être intégralement prises en charge : « On fait du 100 % santé. Notre fourchette de prix est très large. On commence avec des montures à 30 €, sur des gammes correctes puisqu’on les choisit. Le but est de ne pas les réparer dans trois mois ! On peut faire des forfaits à 30 € : on offre les verres en vision simple. Tout le monde a droit au confort. » Pour des montures prêt-à-porter – achetées déjà fabriquées – les prix tournent autour de 100 à 150 €. Ensuite vient le prêt-à-porter magasin, à 250 €. Du côté du sur-mesure, il faut compter dans les 300 € pour une monture en acétate.

La différence, insiste-t-il, tient au conseil et à l’adaptation : morphologie du visage, largeur du nez, longueur des branches, adéquation entre la monture et le type de verres.

Opticien… et lunetier

Dans la plupart des enseignes, le mot lunetier a disparu du vocabulaire : même si le diplôme officiel est toujours celui d’opticien-lunetier, cette partie du métier a été absorbée par l’optique commerciale. Chez Geoffroy Balzeau, elle est centrale. « Dans les études comme dans les magasins, on se concentre surtout sur la partie opticien. Si une monture est bien, tant mieux. Si elle ne l’est pas, ce n’est pas grave. Moi, je me suis vraiment penché sur la fabrication. »

Dans cette petite boutique qui donne sur une place passante, les montures sont fabriquées sur place, parfois sur mesure, parfois en petites séries. La vitrine interpelle. Elle est discrète, mais elle a du cachet. Certaines personnes peuvent se sentir intimidées, n’osent pas franchir le seuil en se disant que cela va dépasser leur budget : « Très souvent, une monture sur mesure revient moins cher qu’une monture de marque en grande enseigne. »

Tout se joue sur les verres

Si les montures attirent l’œil, les verres restent l’enjeu principal. « En France, il y a une quinzaine de verriers. Pour cinq ou six d’entre eux, les verres sont fabriqués en France : les coûts sont plus élevés, mais la qualité est régulière. À côté, il existe des verriers très bon marché, notamment des importateurs verriers de Taïwan, avec des prix dérisoires et une qualité aléatoire. »

Sur la durée, les lunettes à très bas prix ne font pas illusion. « Ce sont des montures basiques fabriquées par injection. Sur le long terme, ça ne vaut pas plus qu’une paire de lunettes de soleil achetée sur un marché. »

Mais le vrai risque de ces lunettes proposées par des plateformes très « low-cost », c’est le centrage. « Sur de petites corrections, ça passe. Sur de grosses corrections, ou sur des verres progressifs, il y aura des problèmes d’adaptation. Un verre progressif est un verre très technique, donc très précis : si on n’a pas de précision au montage, c’est une horreur. Ça peut même être dangereux en voiture. »

Créateur, réparateur… et passeur de savoir

Geoffroy Balzeau est aussi créateur. Il produit à la pièce, répond à des demandes très spécifiques, a fabriqué des lunettes de scène pour Matthieu Chedid ou Karl Zéro. Il crée aussi des lunettes de soleil, grave des montures et les personnalise.

Fabrication et personnalisation se font aussi sur place – photo Izabel Tognarelli


La réparabilité fait partie de l’ADN de l’atelier. « Sur une monture que nous avons fabriquée, tout est enregistré, informatisé, formes et mesures. On peut refaire, réparer. Et on répare aussi des lunettes venues d’ailleurs. »

Une autre idée du commerce

Geoffroy Balzeau ne fait pas de contactologie et travaille en confraternité avec ses confrères du Montargois : « Chacun est bon dans son domaine. » Dans un secteur où le volume, la vitesse et le prix dictent de plus en plus les règles, il fait partie de ceux qui défendent l’idée d’un commerce de proximité, exigeant, technique, humain, loin, très loin de l’optique jetable.

Un savoir-faire qui s’exporte au-delà de la boutique

Chaque année, Geoffroy Balzeau participe au SILMO, à Paris, le plus grand salon international de l’optique. Il y présente des machines laser de personnalisation, utilisées aussi bien pour le marquage de branches que pour la gravure sur verres, destinées aux créateurs comme aux industriels, qu’il fournit également. Importateur de ces équipements, il en assure lui-même le réglage optique et mécanique, indispensable à leur bon fonctionnement, ainsi que la formation des utilisateurs à leur prise en main.


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