Un livre du milieu du XIXe siècle consacré à Du Guesclin va enrichir la bibliothèque sévèroise, au terme de sa rénovation. Peut-être pas un conte de Noël, mais une belle histoire qui mérite d’être contée.
Thierry Dréano remet l’exemplaire original de 1853 à François Daugeron, maire de Sainte-Sévère et Michèle Luneau-Pigois, présidente des « Amis de la Tour ». Photo PB
Par Pierre Belsoeur.
« C’est l’intention qui compte. » Dans le cas de Thierry Dréano elle prend effectivement tout son sens. S’il vient de faire don à la ville de Sainte-Sévère, tout au bout du bout du département de l’Indre, d’un livre de Just Veillat édité en 1853, c’est pour remercier les Berrichons du sud de leur accueil.
Chez un antiquaire parisien
Thierry Dréano fait partie de la diaspora bretonne à Paris. Voici trois ans, il n’imaginait pas que le destin allait le conduire chez George Sand. Et puis voilà qu’un séjour chez des amis dans le sud de l’Indre le fait tomber amoureux de cette contrée. Et coup de chance, une jolie maison cherche un repreneur à Nohant, dans le périmètre de la propriété originelle de George Sand. Thierry et son mari se précipitent : coup de cœur, la maison est faite pour eux. Préoccupation, est-ce qu’un couple d’hommes va être accueilli dans le monde rural ? Deux ans après leur installation, Thierry est co-président des Amis de Nohant et devrait faire partie du prochain conseil municipal de Nohant-Vic. Si ce n’est pas de l’intégration express…
Mais le livre au fait ? C’est là aussi que l’histoire prend tout son sel. Pas encore installé dans le Berry, Thierry l’a déniché chez un antiquaire du passage Jouffroy à Paris. Et il a fallu qu’il le prenne en main et le feuillette pour voir qu’il s’agissait de « Du Guesclin à Sainte-Sévère » de Just Veillat. Mais ce qui a encore plus intéressé notre érudit, c’est que ce livre était dédicacé à Amador Grillon qui fut maire de Châteauroux en 1848 et était lui-même écrivain.
Une réédition en petite série
Du Guesclin, c’était le grand homme de Sainte-Sévère… jusqu’à ce que Jacques Tati vienne y tourner « Jour de Fête », voici 80 ans (on les fêtera à l’été 2026, le programme des festivités est en cours d’élaboration). Dans une langue superbe, Just Veillat raconte, en faisant un pas de côté, le siège de Sainte-Sévère par les troupes du roi Charles V, en l’occurrence celle des ducs de Berri (c’était l’orthographe de l’époque, rien à voir avec le foot !) et de Bourbon. Le roi leur a envoyé en renfort son plus fameux chef de guerre, le connétable Bertrand du Guesclin. C’est en s’appuyant sur les chroniques de Jean Froissart que Just Veillat a construit son récit.
Mais c’est grâce à Thierry Dréano et Pascal Poiget, le patron de la maison d’édition AlterPublishing que nous avons pris connaissance de ce texte. Le co-président des Amis de Nohant a estimé qu’il était dommage qu’un tel document ne puisse exister que dans une vitrine. Tous deux ont entrepris un travail de « copistes », afin de récupérer le texte par différents moyens, de l’enrichir d’un certain nombre d’illustrations commentées et de le tirer à trois cents exemplaires. « Une aberration économique », sourit Thierry Dréano, mais c’est aussi cet ouvrage qu’il présentait le 14 décembre à Sainte-Sévère et les vingt-cinq premiers exemplaires sont partis comme des petits pains.
Sur la couverture de l’ouvrage, on retrouve la fameuse Tour de Sainte-Sévère, dernier vestige des fortifications du XIVe siècle et le blason du connétable « D’argent à l’aigle bicéphale éployée, de sable, becquée et membrée de gueules, à la cotice du même brochant sur le tout ». En clair un aigle noir à deux têtes aux ailes déployées, sur fond blanc, au bec et pattes rouges comme la bande qui le traverse en diagonale. Ce Du Guesclin est suivi d’un autre texte consacré à la Dame de La Motte-Feuilly, autre personnage exceptionnel du sud de l’Indre (lire par ailleurs).
Pratique. « Du Guesclin à Sainte-Sévère suivi de La Dame de La Motte Feuilly » de Just Veillat aux éditions AlterPublishing. Réédition proposée par www.amisdenohant.fr – 270 pages. 16,70€

Charlotte d’Albret, belle-fille d’un pape
La châtelaine de la Motte-Feuilly aurait pu prétendre à une toute autre destinée. L’Histoire a surtout retenu le nom de son époux, César Borgia. On sait qu’elle est née en 1480 mais l’histoire ne dit pas où. Sans doute en Gascogne d’où sont originaires les Albret qui donneront un roi à la France (Henri IV). Son titre de duchesse de Valentinois faisait partie de la corbeille de mariage garnie par le roi de France mais elle séjourna à la Cour et en Berry. Elle s’éteignit le 11 mars 1514, à La Motte-Feuilly où elle passa les dix dernières années de sa courte existence.
Sœur d’Alain Albret, roi de Navarre, Charlotte eut une vie maritale peu ordinaire puisqu’elle épousa le fils d’un pape. À cette époque, les papes avaient des maîtresses plus ou moins officielles, Alexandre VI fut le premier à reconnaître les fruits de ses amours, César, Giovanni et Lucrèce. Charlotte était jolie, pieuse et obéissante et les filles de grandes familles servaient de monnaie d’échange pour conclure toutes sortes de traités. Anne de Bretagne, sensible à sa grande beauté, l’avait fait venir à la cour de France. Un traité (encore !) prévoyait que la veuve du roi Charles VIII (qui mourut après s’être fracassé le crâne contre un linteau de porte du château d’Amboise) devait épouser son successeur. Dans l’optique de ce nouveau mariage, Anne de Bretagne avait réuni autour d’elle un panel de jolies vierges, ses filles d’honneur.
La beauté de Charlotte n’avait pas échappé non plus à Louis XII qui allait en faire en quelque sorte un « paquet cadeau ». La belle oiselle n’avait évidemment pas son mot à dire dans l’affaire. Pour respecter le traité le liant à Anne de Bretagne, Louis XII devait faire annuler son mariage avec Jeanne de Valois. La malheureuse reine de France était accablée par les infirmités auxquelles elle faisait face, disent les témoins de son temps, avec douceur et piété. Il ne s’agissait pas d’un mariage d’amour, la petite Jeanne avait été promise à son futur époux alors qu’elle n’avait que quatre ans ! Pour obtenir l’annulation, par le pape, de son premier mariage, le roi offrit donc à Alexandre VI, le pape le plus corrompu de l’histoire, Charlotte comme épouse pour son fils, César Borgia.
Le roi et sa famille s’étant mis d’accord, Charlotte n’avait plus qu’à s’exécuter. Entrer dans la famille Borgia où, justement, l’on s’exécutait joyeusement et où la liberté sexuelle était une raison de vivre, qu’il s’agisse du père, du fils ou de la fille, Lucrèce, voilà le sort peu enviable réservé à la jolie Charlotte. César n’était pas laid et, c’est vrai, il fit les choses en grand pour rejoindre sa fiancée. Le mariage eut lieu le 10 mai 1499. Quatre mois plus tard, César partit en Italie aux côtés de Louis XII, laissant une jeune épouse enceinte d’une fille qu’il ne devait jamais connaître… L’existence du fils du pape s’acheva sept ans plus tard, au terme d’une vie de débauche, lors d’un siège en Espagne, alors qu’il combattait pour le frère de Charlotte.
La jeune épouse délaissée n’allait jamais plus quitter l’Indre. Charlotte habita d’abord Issoudun, dont César était le seigneur. De là, elle pouvait visiter son amie Jeanne de Valois. L’épouse répudiée du roi avait reçu le titre de duchesse de Berry et s’était retirée sur ses terres, à Bourges.
En 1504, Charlotte se trouva propriétaire du château de La Motte-Feuilly. Le château avait appartenu autrefois à la famille d’Albret. Il fut racheté avec la somme qu’avait versée César Borgia pour épouser la « plus belle fille de la cour de France ». La légende dit que c’est l’ex-reine de France qui accompagnait l’épouse abandonnée lors de son arrivée à La Motte-Feuilly.
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Orléans racontée par ses maires