Le brésilien Kleber Mendonça Filho a trouvé en Wagner Moura un allié de poids pour nous livrer une histoire complexe qui s’appuie sur celle de son pays et de la dictature militaire. Mélangeant film de genre, thriller, film politique et histoire militante, cette saga brésilienne brille par sa beauté calme comme par son audace de scénario. On rit, on pleure et on frissonne. Formidable.

Wagner Moura en Marcelo. Photo CinemaScópio – MK Production – One Two Films – Lemming
Par Bernard Cassat.
Alors que le coup d’État de Pinochet a fait beaucoup de bruit dans tous les medias du monde, la dictature militaire brésilienne était plus silencieuse. Pourtant, à partir de 1964 et pendant 20 ans, elle réprima sauvagement toute contestation ou divergence de vue.
C’est dans ce climat, en 1977, que Kleber Mendonça Filho situe son dernier film L’Agent secret. Loin de nous installer dans un sensationnalisme politique, il raconte doucement l’histoire de Marcelo, un homme qui, au volant de sa VW jaune, revient dans sa ville, Recife. Un peu road movie, tout le début du film installe à la fois la puissance et l’absurdité du système de ce pays. La folie du carnaval laisse derrière elle quelques cadavres desquels la police se détourne, trop absorbée par le contrôle des vivants.

Les cadavres disparaissent facilement. Capture de la bande annonce.
Petit à petit, les éléments s’installent, sans vraiment d’explications. Mais chaque lieu et chaque personnage prennent vite leur place et leur sens. Tour de force narratif du scénario et de la mise en scène, des séquences alternent policiers gangsters, tueurs véreux et lieux d’accueil pour des « réfugiés » dans leur propre pays. Le réalisateur capte avec force la violence de cette société dirigée par des ordures agissant sans contrôle, puisque ce sont eux qui l’exercent.

Les « réfugiés ». Photo CinemaScópio – MK Production – One Two Films – Lemming
Les gens menacés parmi lesquels s’installe Marcelo ont tous des personnalités beaucoup plus développées et intéressantes. Notamment la vieille militante qui régente l’immeuble où ils vivent. Et Marcelo retrouve sa belle-famille et son fils. On comprend que la mère de l’enfant a disparu dans les geôles de la police, il y a quelques années. Le garçon d’une dizaine d’années vit avec ses grands-parents, des gens formidables. Il est gérant d’un cinéma. Un de ceux que Kleber a documenté dans son docu-fiction Portraits fantômes en 2023. Ce cinéma devient un lieu de rendez-vous entre clandestins menacés et une organisation qui les aide.

Un patron industriel capable du pire. Capture bande annonce.
Le film prend ensuite une autre dimension. Il alterne des séquences de vie dans cet immeuble de réfugiés, de pratiques policières pour le moins violentes et de scènes de rêve total, notamment autour d’une jambe retrouvée dans le corps d’un requin. Il faut dire que 1977 est la sortie des Dents de la mer, film qui passe au cinéma du grand-père et qui fascine le petit-fils. Un téléphone portable actuel introduit une autre dimension. Des étudiantes de 2025 écoutent les cassettes des enregistrements de réunions de 1977. Qui nous racontent l’histoire complète, la collusion violente entre industrie et recherche universitaire. Qui détruit Marcelo et tue sa femme, puis envoie des tueurs à sa poursuite. Un thriller haletant s’installe, le film suit les traces sanglantes laissées par ces années terribles pour arriver dans un centre de transfusion moderne.

Un climat de terreur. Photo CinemaScópio – MK Production – One Two Films – Lemming
La question de la mémoire est également au centre du scénario. Marcelo cherche à retrouver au moins un papier officiel sur sa mère, qui semble avoir été rayée de toutes les archives. Et le fils de Marcelo découvre par le compte-rendu des étudiantes l’histoire de son père. Comme si la dictature avait totalement coupé le pays avec son passé.
Magnifiquement emmenée par Wagner Moura, qui s’est aussi investi dans la production, cette vaste saga brésilienne mélange plusieurs genres avec doigté. Kléber arrive à retracer ces années douloureuses du pays. Il nous promène dans les méandres sociaux, et même dans la misère profonde qui explique en partie la facilité de la répression et de la corruption. Avec des personnages complexes et divers, l’histoire mélange les thèmes : la politique, le cinéma, la ville de Recife, la police, l’histoire, le thriller. On savait Kleber Mendonça Filho très attachant, depuis Aquarius sorti il y a 10 ans. L’Agent secret confirme largement aujourd’hui son talent.
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