« Second Souffle », une formidable leçon de vie

Elle était déjà l’invitée des fêtes johanniques 2022. La réalisatrice franco-ukrainienne Masha Kondakova était de retour à Orléans ce lundi 15 décembre pour présenter cette fois-ci, devant une centaine de personnes, en avant-première nationale au cinéma Pathé, son film-documentaire « Second Souffle ».

Par Eric Botton

Celui-ci met en scène le destin et l’aventure incroyable de 5 jeunes soldats ukrainiens (4 hommes et 1 femme) partis à l’assaut du Kilimandjaro, gravement blessés au combat auparavant, mais qui ont refusé d’abdiquer, ont décidé de réapprendre à vivre, et sont finalement toujours « debout ». Une formidable leçon de vie.

Cl EB

Une haute idée de leur mission

Ils s’appellent Olia, Micha, Roma, Sachko ou Vlad. Ils ont en commun la jeunesse (une trentaine d’années chacun) et la particularité de servir dans les forces armées ukrainiennes qui tentent de résister à l’envahisseur russe. Et surtout une haute idée de leur mission : se battre jusqu’au bout pour défendre l’indépendance et la liberté de leur pays. A tout prix. Même celui du sacrifice de leur intégrité physique ou de leur vie. Très exposés au fil des nombreuses opérations auxquelles ils ont participé sur le terrain depuis le début du conflit, ils ont tous les 5 étés gravement blessés. Seule Olia, très sérieusement touchée à l’abdomen lors d’un raid, ne présente pas de signe visible de blessure, même si les séquelles sont pourtant présentes. Pour les 4 autres, que ce soit suite aux éclats d’obus tiré par un char ennemi, ou à l’impact d’une mine anti-personnelle, un des deux membres inférieurs a été touché et s’est retrouvé amputé. Chacun a dû apprendre à vivre avec ses blessures, refuser de baisser les bras, même si les tentations morbides étaient au rendez-vous : « quand j’ai compris dans quel état j’étais au moment où je venais d’être touché, j’ai demandé à mes camarades de ne pas me laisser comme ça, de m’achever. Mais j’ai été secouru et pris en charge ».

Un long chemin de reconstruction…

A chaque fois, le verdict est sans appel : amputation. Pas d’autre choix. Mais comment fait-on ensuite ? Est-on toujours un homme ? Est-il possible de supporter de façon pérenne une telle situation ? Tant de questions sans réponses, dans un premier temps au moins. Commence alors un long parcours, fait de courage et de détermination, mais aussi de grands moments de doute, pour s’habituer déjà à son nouveau corps. Ce chemin-là, le long métrage ne le montre pas, mais on le devine aisément. En revanche, et pour chacun des 5, on découvre les captations vidéo faites juste après leur blessure, tous conscients, mais dans un sale état, réalisant parfaitement ce qui vient de leur arriver, bien au fait des risques qu’ils ont acceptés de courir, en espérant que le pire n’arriverait jamais. Pas de voyeurisme pour Masha Kondakova, simplement l’envie de montrer le point de départ, le moment juste après que tout a basculé, pour mieux réaliser ensuite le chemin parcouru. Et quel chemin ! On reprend le fil de l’histoire à un moment où chacun a pu être appareillé avec une prothèse et a réussi à l’apprivoiser. La vie a repris ses droits, elle est presque normale, ordinaire. C’est là que survient l’inattendu, l’idée un peu folle, qui va définitivement tout changer.

… qui passera par le Kilimandjaro !

Se prouver qu’on est encore quelque chose, qu’on vaut encore quelque chose, montrer à tous les autres que oui, c’est possible, que même si on a failli mourir, même si on a pu avoir envie de mourir ensuite, la vie ne s’arrête pas, elle continue, avec davantage de sens peut-être. Partir tous les 5, ensemble, gravir tous les 5 le Kilimandjaro (5895m), avec chacun sa prothèse, sans assistance… Un pari fou, pour se dire qu’on est toujours vivant, et bien vivant. Un défi de taille, surtout quand on sait que de l’idée à la finalisation du projet, il ne s’est écoulé qu’un an, c’est-à-dire la durée habituellement recommandée pour se préparer physiquement et mentalement à un tel challenge. Départ pour la Tanzanie. Il y aura 4 jours pour réaliser l’ascension, mais on sait déjà que parmi tous ceux qui s’y essayent, seul 1 sur 3 y parvient, et bien entendu sans prothèse. Il va falloir encore se battre pour aller jusqu’au bout. Avant de traverser la forêt tropicale, 1ère partie de l’ascension, pause dans un village Massaï. La caméra de Masha Kondakova, scène inattendue et émouvante, filme l’étonnement des enfants qui découvrent pour la 1ère fois, les yeux écarquillés, ce qu’est une prothèse et veulent toucher pour comprendre.  S’en suivent des danses avec les habitants du village où nos soldats ne sont pas les derniers à bouger et à sauter au rythme de la musique. 
On retrouve nos protagonistes dans la forêt tropicale. L’atmosphère est moite. Il faut s’arrêter, souvent. Détacher les prothèses, enlever le manchon qui protège le moignon, l’essorer car il est trempé, soigner comme on peut les irritations qui ont commencé à survenir du fait de la marche soutenue, puis remettre le tout. Et repartir. Toujours. La caméra filme tout, sans tabou, mais avec pudeur et bienveillance. La forêt du début est loin maintenant, on a dépassé les 3400m, l’oxygène commence à se raréfier, le doute s’installe… 4000m maintenant. De plus en plus dur. Chacun souffre mais personne ne veut lâcher. Au sein du groupe, l’entraide est au maximum, et même si l’un ou l’autre flanche, on s’est promis d’arriver là-haut tous ensemble. Les 1000 derniers mètres, avancer, toujours avancer, malgré la douleur. Et puis la délivrance, le sommet, enfin ! L’impossible est devenu possible.

Un message d’espoir

Le membre à jamais perdu ne repoussera pas. Mais chacun a gagné bien autre chose. Apprivoiser son handicap, retrouver une vie « normale », se dépasser pour atteindre les sommets, retrouver au passage la confiance en soi et l’estime de soi, l’estime des autres aussi, se dire enfin qu’on n’est pas foutu, qu’on sert à quelque chose : la leçon est apprise et elle ne s’oubliera plus. Diffusé à la télévision ukrainienne en octobre dernier, le film a été vu par un million de téléspectateurs avant de sortir en salle, mais aussi dans plusieurs hôpitaux. Il se veut être un formidable témoignage, mais aussi un véritable message d’espoir, en particulier pour les milliers de soldats aujourd’hui amputés, auquel il raconte que la vie ne se s’arrête pas, qu’elle continue si l’on n’abdique pas, et qu’elle peut même être belle, y compris avec un membre en moins et une prothèse à la place. D’ailleurs, pour aider tous leurs collègues touchés dans leur chair, les vétérans ont créé Second Wind (Second Souffle). L’argent qui doit être généré par les projections du film ira directement à l’association. En février prochain, il devrait être diffusé à l’OTAN. Mais, au-delà de l’avant-première orléanaise, il faut maintenant trouver un diffuseur pour pouvoir le programmer et l’offrir au regard d’un large public. Au-delà de ces destins singuliers, Masha Kondakova a tenu à conclure la séance en référence au conflit russo-ukrainien, toujours d’actualité : « Ce que l’on doit savoir et retenir, c’est que les ukrainiens restent et resteront toujours debout, même si on essaye de les amputer ». Depuis, les 5 héros du Kilimandjaro sont retournés à leur vie presque normale. Trois d’entre eux servent toujours dans l’armée et se retrouvent encore régulièrement sur le théâtre des opérations militaires. Ils n’ont rien perdu de leur courage et de leur détermination et continuent de se battre au quotidien pour que leur pays reste libre et souverain.

A lire sur Magcentre: Les 593e fêtes johanniques d’Orléans à l’heure ukrainienne

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    10°C
  • mardi
    • matin 6°C
    • après midi 8°C
Copyright © MagCentre 2012-2025