Fatih Akin a tourné le scénario de son professeur et ami Hark Bohm, qui raconte sa jeunesse pendant la guerre sur l’île d’Amrum. Pas de batailles, sinon intérieures, mais des déchirements familiaux. Interprété par un jeune garçon formidable, Nanning nous entraîne dans ses tourments d’enfant allemand en pleine défaite du pays au milieu d’une nature de toute beauté.

Nanning donne un coup de main à la voisine qui le paye en nourriture. Phiti bombero international GmbH & Co. KG / Rialto Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Gordon Timpen.
Par Bernard Cassat.
Amrum est une petite île au large du Schleswig-Holstein, cette région entre Hambourg et le Danemark. C’est là que Nanning a passé la guerre avec sa famille. Sauf son père, haut gradé de l’armée nazie, donc sur le front. Mais sa mère veille sur l’esprit idéologique de la famille.

Le maigre repas qui va tout déclencher. Photo bombero international GmbH & Co. KG / Rialto Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Gordon Timpen.
Les temps sont durs. Surtout qu’en 44-45, la défaite allemande est évidente, imminente. Pour la propagande, le dire c’est trahir. Étant le seul « homme » de la famille, Nanning fait tout pour rapporter de quoi manger à la maison. Mais sa mère, avec sa position radicale et sa foi inconditionnelle dans le nazisme, lui fait vivre un conflit terrible. Elle le coupe socialement des autres habitants de l’île, donc des sources de nourriture. Et à la mort d’Hitler, elle s’enferme sans manger dans sa chambre. Nanning souffre de tout cela. Mu par la force filiale, il part à la recherche de farine et de miel, puisqu’elle ne veut manger que cela.

Seul sur la lande. bombero international GmbH & Co. KG / Rialto Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Gordon Timpen.
Il va braver beaucoup d’éléments pour contenter sa mère. Dans ce paysage incroyable, à l’horizon totalement ouvert, il vit le conflit mondial en train de se terminer dans une lutte intérieure violente. Jasper Billerbeck, le garçon qui joue Nanning, est totalement bluffant. Sur son visage d’ange passent tous ses tourments personnels sans qu’il n’ait besoin de jouer. Son naturel à l’image transmet directement ses émotions qui deviennent les nôtres. Lorsqu’il court dans la lande chercher les œufs des oies, et qu’il en laisse certains pour ne pas fâcher la nature, le conflit entre le bien et le mal, cette vision morale de la politique, éclate avec une puissance irrésistible.

La chasse aux œufs. Photo bombero international GmbH & Co. KG / Rialto Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Gordon Timpen.
C’est toute la force du scénario écrit par Hark Bohm, décédé en novembre dernier mais qui apparaît dans le film. C’est Nanning aujourd’hui. Dans cette histoire, pas de bombe, pas de bataille. La guerre est loin. Il s’agit du quotidien difficile, du manque de nourriture, de réfugiés (la famille de Nanning est hambourgeoise mais sa mère est originaire de cette île). Pour filmer la beauté d’Amrum, Fatih Akin s’est imposé des contraintes très fortes. Trois heures de tournage en fin de journée pour une homogénéité de la lumière, avec des scènes compliquées dans l’estran, l’eau qui monte très vite, Nanning qui risque de se noyer… Ces rigueurs cinématographiques correspondent aux épreuves de l’enfant au milieu de la débâcle du pays, du suicide des nazis purs et durs. Le résultat est là. Les images superbes portent au plus intense cette histoire tragique et douloureuse d’un garçon allemand qui se rend compte que son pays est un monstre.
D’une facture classique, le film emporte par la beauté des images et la précision du montage. Akin a su tout utiliser, l’eau, le ciel et les animaux, pour construire un film touchant et un magnifique moment de cinéma.
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