Parmi les seize mesures détaillées hier par Najat Vallaud-Belkacem pour la grande mobilisation républicaine à l’école figure un “apprentissage” aux médias.
L’école “ne tolère aucune remise en cause des valeurs de la République”, a insisté la ministre de l’Education, assurant vouloir lutter contre le “repli identitaire”, les “théories du complot”, la “défiance” à l’égard des médias et le “péril du relativisme généralisé”.
Puisse t-elle réussir, mais si l’on veut bien ne pas se voiler la face, il faut convenir que cela fait trente ans au moins que le corps enseignant dans sa majorité crache sur la presse et les journalistes. Résultat aujourd’hui: tout ceux qui fréquentent les “quartiers”, et pas seulement, en témoignent. Des jeunes puisent leurs informations sur les “réseaux sociaux” et offrent leur candeur aux manipulations les plus cradingues, religieuses ou pas.
Qui parmi les journalistes n’a jamais entendu un enseignant débiner les titres de la presse régionale ou d’autres journaux, du haut de son mépris pour les “chiens écrasés”? Nous avons tous eu cette expérience douloureuse de nous retrouver un jour, lors d’un forum de l’orientation par exemple, face à des élèves de troisième ignorant ce qu’est un journal.
Inepties distillés sur les réseaux sociaux
Depuis la nuit des temps, il n’est pas de bon ton parmi les enseignants de lire la presse, toute la presse. Ni de la faire lire à nos enfants. Hormis peut-être le Monde, Télérama et l’Obs, la presse papier, pas plus que la presse en ligne d’ailleurs, n’a jamais eu bonne presse chez les pédagogues. En dehors de quelques exceptions comme le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias de l’information), le monde enseignant n’a jamais rempli ce rôle d’éducation à l’information.
Souvent le journaliste n’est considéré que comme un pisse-copie inculte, uniquement soucieux de faire du sensationnel pour “vendre du papier”. S’il est vrai que la presse doit aussi balayer devant sa porte, est-ce si compliqué d’expliquer à nos jeunes (comme le fait Jean-Luc Porquet dans le Canard, plus bas) que la presse obéit à une loi. C’est ce qui fait toute la différence avec les inepties distillés sur les réseaux dits sociaux.
Closer soumis à la même loi que Le Monde
Toute la presse est soumise à cette loi, du Monde à Charlie Hebdo en passant par France Dimanche et Gala. Quoi qu’on en pense et quoi qu’en disent nos beaux esprits, en particulier ceux de l’Education nationale, Closer quel que soit le sujet, sera toujours cent fois plus crédible qu’une information balancée par n’importe qui sur internet. Ce magazine et ses journalistes sont soumis à la même loi que le Monde, et la 17 ème chambre de Paris est très sévère lors des procès de presse. Monsieur Facebook et Monsieur Tweeter, ne sont soumis à aucune loi, eux, sinon celle du profit.
Déjà les syndicats d’enseignants à propos des mesures annoncées par la ministre “pour la transmission des valeurs de la République” parlent déjà d’une “batterie de décisions assez ordinaires”. On sent bien là leur motivation…
Ce n’est pas l’éducation aux médias qui résoudra toutes les menaces de manipulation et d’intox qui planent sur la tête de nos gamins. Mais si les professeurs pouvaient eux-mêmes être convaincus qu’ils sont aussi responsables de l’agonie de la presse d’information, faute d’en avoir inculqué le goût à leurs élèves, l’apartheid social et culturel dont parle Manuel Valls, à juste titre, aurait déjà fait un petit pas en arrière.
Ch.B
La chronique de Jean-Luc Porquet dans le Canard enchaîné du mercredi 21 janvier expose parfaitement la différence entre “l’information sauvage” sur le net et l’information dans la presse.
Devant les kiosques
“Si Cabu avait vu ça! Les kiosques pris d’assaut. Les gens faisant la queue pour acheter Charlie Hebdo. Et aussi d’autres journaux, beaucoup d’autres –dont le Canard évidemment. Pourquoi pareil engouement? Simple coup de l’émotion? Panurgisme? Collectionnite? On peut bien sûr ricaner du fait que les lecteurs avaient depuis longtemps délaissé Charlie qui était au bord de la faillite et qu’aujourd’hui le voilà plébiscité, fêté, remis à flot –son équipe décimée. On peut aussi voir cet afflux de lecteurs comme la revanche d’une certaine idée de la presse.
Cabu n’aimait pas le net. Il ne s’y frottait jamais, sauf lorsqu’ayant besoin de dessiner un visage dont il n’était pas familier, il nous demandait de faire une brève recherche, pointait deux ou trois photos sur l’écran dont on lui faisait un tirage papier, et basta.
Pour le reste, il se désolait du robinet à conneries qu’était pour lui internet. Richesse inouïe, bien sûr, mais aussi infos pas vérifiées, torrent de haine, d’inculture, d’insultes, foisonnement de complotisme et d’extrémisme…Un vrai Far West sans loi aucune où s’impose le plus fort en gueule, le plus violent.
La presse qu’on trouve en kiosque, elle, résulte d’une longue histoire (Zola, Albert Londres etc…). Et aussi d’un droit: depuis la loi du 29 juillet 1881, tout un arsenal législatif s’est mis en place pour le codifier. Respect de la personne, protection des mineurs, répression de l’injure, de la diffamation, de l’atteinte à la vie privée…. La liberté de la presse n’existe que parce qu’elle se donne des limites.
Sans limite, la liberté mène à ce qu’on peut voir sur le net: du grand n’importe quoi. Terrible paradoxe: ces jours-ci on a entendu nombre de jeunes gens affirmer qu’ils font confiance aux infos qu’ils trouvent sur le net, mais pas aux journaux, “tous manipulés”!
Ce sont pourtant des journaux, de simples journaux que sont venus chercher ceux qui ont pris le chemin des kiosques. Des hebdos, des quotidiens,, des médias qui respectent des valeurs, des règles,le droit. Bien sûr nous sommes les premiers au Canard à critiquer la domination de la presse écrite par l’argent, la pub et le conformisme.
N’empêche, malgré touts ses défauts, elle forme un véritable écosystème: 25 000 journalistes, des correcteurs, des syndicats du livre, une histoire, des traditions démocratiques, etc. Pas besoin d’aller en Russie ou en Arabie Saoudite pour saisir à quel point cela est précieux.
Et menacé. Concurrencés par le net, nombre de journaux ferment ou sont au bord du dépôt de bilan, comme Charlie voilà encore un mois. La relève est-elle sur le net? A part une maigre poignée de sites, aucun “e-journal” généraliste n’a encore “trouvé son modèle économique” comme on dit. Charlie survit en kiosque et c’est bien. Mais si les kiosques continuent de fermer les uns après les autres…
Jean-Luc Porquet