Le Centre est-il à droite ?

Pierre Allorant

Pierre Allorant

Que l’on se rassure : il ne s’agit pas ici de revenir sur l’obtention, acquise de haute lutte, de la mention « Val de Loire » à la dénomination de la région Centre, encore moins de s’interroger sur le positionnement des deux rives du fleuve royal.

Simplement, à un mois d’élections départementales annoncées comme mauvaises pour la gauche, avec le basculement national programmé d’une vingtaine de conseils départementaux au profit de l’UMP, prendre le temps d’un bref regard rétrospectif sur les traditions des cultures et des familles politiques en Touraine, dans l’Orléanais et dans le Berry.

Des départements radicalement modérés

En France, le paysage politique a véritablement été mis en place en 1789, avec l’invention du vocabulaire politique (droite, centre ou « plaine », gauche) et les séquelles durables de l’affrontement entre l’État révolutionnaire et l’Église catholique. Si paradoxalement deux abbés incarnent dans notre future région les idées d’égalité (Grégoire à Blois, Sieyès à Chartres), la vie politique se structure, tout au long du XIXe s., autour de la place de l’institution catholique dans l’espace social et d’étendue des pouvoirs royaux.

cherPrécocement déchristianisés, les départements du Cher et de l’axe ligérien sont loin de faire partie des bastions de la contre-révolution auxquels seul l’arrondissement occidental de Nogent-le-Rotrou peut être rattaché. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en vertu d’un attachement aux libertés individuelles et publiques, à l’égalité en droit et au droit de propriété garanti par le Code civil, les personnalités politiques les plus en vue appartiennent à la mouvance centrale du radicalisme : Henri Brisson dans le Cher, Fernand Rabier à Orléans, Camille Chautemps à Blois et à Tours, Maurice Viollette à Dreux. Le cumul des mandats, la presse locale et le barreau fournissent à ces notables très solidement ancrés dans leur terroir départemental un socle électoral solide.

Des terres de mission pour les extrêmes

Jean Zay

Jean Zay

Ce point d’équilibre au centre-gauche, c’est-à-dire sur le même axe que la République parlementaire de 1877 à 1958, comporte deux ailes opposées : le progressisme modéré de centre-droit incarné par Deschanel en Eure-et-Loir ou auparavant les Cochery à Montargis, et à gauche le « jeune radical » Jean Zay et le socialiste Joseph Paul-Boncour. Seul le Cher, des communards de Vierzon au bastion communiste, se situe dans une tradition protestataire et ouvriériste réservée ailleurs aux banlieues cheminotes de Saint-Pierre-des-Corps et des Aubrais. Quant à la droite extrême nostalgique de la monarchie, elle s’est progressivement retirée dans ses châteaux de Sologne et ses hôtels particuliers urbains, ne sortant de la rumination de sa défaite que lors des « poussées de fièvre hexagonale », de l’affaire Dreyfus aux élections municipales de Dreux en 1984.

Faiblement industrialisés, marqués par une paysannerie propriétaire et une bourgeoisie libérale peu aventureuse, les départements du Centre-Val de Loire se sont longtemps reconnus dans la République parlementaire confortée par la victoire de 1918.

À partir de ce terreau historique, comment expliquer qu’aujourd’hui seuls deux conseils généraux soient tenus par la gauche, dont celui d’Indre-et-Loire très menacé par une décennie de divisions ?

Une offre renouvelée : bastions gaullistes et poussée socialiste

Le plus marquant est le reflux massif de l’implantation du radical-socialisme auparavant dominante. Identifié au régime de la débâcle de juin 1940, le parti radical a subi un premier recul en 1944, mais a souvent conservé son implantation cantonale jusqu’en 1958, queue de comète de l’influence déclinante de vieux leaders comme Dézarnaulds dans le Loiret.

Le tempérament modéré et républicain des pays ligériens a trouvé une offre politique renouvelée d’abord dans la démocratie-chrétienne, soutenue par un fort électorat féminin sous la IVe République, puis dans la droite patriote et modernisatrice de la République gaullienne : Pierre Sudreau à Blois, Raymond Boisdé à Bourges, Jean Royer à Tours, Roger Secretain, Pierre Pagot et Kléber Malecot à Orleans ont su concilier l’aspiration de leurs concitoyens à la prospérité économique et au développement de territoires réveillés de leur longue torpeur séculaire par le boom démographique de la seconde moitié du XXe siècle.

L’union de la gauche et la crise économique ont contribué à donner leur chance à des équipes de gauche, ressourcées par les chrétiens du PSU et de la CFDT et par le travail des Groupes d’Actions Municipales, dans les villes chefs-lieux (de 1977 à 1989) comme dans les conseils généraux (aux notables exceptions des trois départements issus de l’Orléanais) et au conseil régional depuis 1998.

Quelle droite pour le Centre ?

En toute logique, le retour de balancier opéré localement en compensation de l’orientation du pouvoir national, devrait assurer fin mars à la droite républicaine au minimum cinq des six conseils départementaux. Mais beaucoup de facteurs nouveaux changent la donne et rendent la situation instable et imprévisible : le redécoupage des cantons, au nombre divisé par deux, brouille les repères des scrutins passés ; la poussée du Front national dans les cantons du « rural profond » et des périphéries urbaines, sur arrière-fond de sentiment d’abandon et de dépérissement des services publics ; les divisions des deux camps traditionnels liés à des personnalités rivales (Gorge/Montgolfier en Eure-et-Loir, héritiers de Jean Germain et frondeurs en Indre-et-Loire, etc.) ; enfin, sans doute décisif, le faible niveau de participation attendu, avec une barre exigeante pour rester présent au 2ème tour (12,5% des inscrits, soit probablement 25 à 30 % des votants).

D’où l’obsession des candidats sortants de miser sur leur image personnelle et de se cantonner à une campagne de proximité pour compter sur leur bilan et leurs réseaux afin de surmonter la vague de défiance et de rejet des partis de gouvernement. Si le Centre en reste à son étiage de modération, le Cher pourrait faire exception et rester sur la rive Gauche, en amont d’un Centre-Val de Loire massivement acquis au centre-droit, avec un point d’équilibre établi entre l’UDI et l’UMP, nouvelle source de difficulté à venir pour les choix stratégiques et de têtes de listes pour les élections régionales de décembre prochain : le Centre(-Val de Loire) est-il au centre-droit, ou bien à droite ?

Par Pierre Allorant

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