Jeanne d’Arc par Jacques Rivette, Sandrine Bonnaire et… le reporter au stylo caché

L’un des derniers cinéastes de la Nouvelle Vague, Jacques Rivette, est mort vendredi à l’âge de 87 ans. De 1989 à 2009, Il a tourné une trentaine de films (La Religieuse, La Belle Noiseuse,  Suzanne Simonin, Céline et Julie vont en bateau…), des œuvres difficiles parfois très longues. Il était né à Rouen mais ce n’est pas pour cette raison qu’il entreprit en 1994 de tourner une Jeanne d’Arc incarnée par Sandrine Bonnaire. Une partie du film fut tournée en 1994 à Châteaudun, à l’intérieur du château…

Cette année-là, la presse fit un pas de géant. Qu’on en juge: le journaliste de la République du Centre avait réalisé le premier reportage en “stylo caché”. Sous son armure. Une sorte de grand saladier sur la tête, aux côté une épée bidon qui le faisait trébucher, le reporter du quotidien du Loiret et d’Eure-et-Loir s’était fait embaucher sous un pseudonyme comme figurant sur le tournage de “Jeanne la pucelle”, dans les douves du château. Avec Rivette aux manettes. De l’immersion, du “décryptage” comme on dit de nos jours dans la presse branchée, afin de raconter la vie d’un figurant heure par heure. Du lourd. Le tout, répétons-le, en stylo et carnet cachés!

Sandrine Bonnaire interprête Jeanne d'Arc

Sandrine Bonnaire interprète Jeanne d’Arc

Alors, on vous passe les plans comme à la TV dans les “enquêtes interdites” ou les “yeux du 20h” sur le journaliste qui téléphone à la production pour être embauché sur le tournage – plan rapproché sur le combiné, voix déformée, silhouette floutée et autres bidonnages – pour faire saliver le gogo.

Silence, moteur: donc notre reporter à la faveur d’une coupe de cheveux au bol à peu de chose près médiévale, s’était retrouvé dans une séquence où la pauvre Jeanne capturée par ces salopards de Bourguignons était prisonnière des  spadassins de l’anti-France.

Dans la scène où il avait été choisi pour son look moyenâgeux, le journaliste félon et Bourguignon qui de nos jours aurait perdu pour moins que ça sa nationalité, devait passer les “menottes” à la pauvre Jeanne dont l’épopée commençait à sérieusement sentir le roussi. Personne sur le plateau n’était au courant de la “supercherie” et de l’objectif final de ce vrai-faux figurant embauché comme les autres par voie d’annonce dans la presse locale.

30 prises

La vérité oblige à dire que la scène fut recommencée une trentaine de fois. Ce qui permit au vrai-faux figurant de noircir –toujours en cachette- son carnet de notes planqué. Trente fois, non pas parce que la talentueuse Sandrine Bonnaire n’arrivait pas à camper l’air apeuré que lui inspirait le journaliste-Bourguignon. Au contraire, et c’est là tout le talent des comédiens de cinéma, de pouvoir reprendre à l’identique la pause et l’expression. Trente fois parce que Rivette, travaillait en son direct et qu’au milieu de chaque prise, la pétarade d’une moto, le passage d’un avion de la base voisine de Châteaudun ou l’aboiement intempestif d’un chien perturbait la prise. L’avantage c’est qu’avec Rivette, une tronche du cinéma d’auteur, même la figuration était “intelligente”.

rivetteA la faveur des longues séquences d’attente entre deux prises, le journaliste investigateur de plateau put deviser comme un figurant lambda avec Sandrine Bonnaire. Ce qui ne fut pas, et de loin, la partie la plus désagréable du reportage.

Au final, mis à part cette héroïque séquence, ce énième film sur l’épopée johannique fut un bide. Très fidèle à la vérité historique, mais interminable et sorti en deux épisodes, La Pucelle d’Orléans servit et sert encore à peu près uniquement aux enseignants. Rivette, qui n’avait pas bénéficié d’un gros budget, tourna la prise d’Orléans sur les remparts de… Carcassonne.  Quant au “Val de Loire” de cinéma qui donne lieu à quelques séquences, il se retrouve à l’écran encaissé entre des paysages vallonnés assez surprenants.  Le hallebardier ne décrocha pas de récompense à Cannes l’année suivante, et Rivette pas plus.

Pour sa part, le reportage en “stylo caché”, est paru dans le quotidien local et la méthode a depuis fait école à la télé, avec les fameuses caméras cachées. Un reportage qu’on ne saurait trop conseiller à la mairie d’Orléans dans son prochain dossier sur le classement des fêtes johanniques à l’Unesco. Le rayonnement d’Orléans passe aussi par la pellicule…

Ch.B

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