Par Patrick Communal
Lorsque j’ai lu et écouté les commentaires de l’affaire Denis Baupin révélée par Mediapart et France Inter, constaté le nombre de femmes qui témoignaient, la nature des agissements dont il est accusé allant de l’agression sexuelle caractérisée au harcèlement à répétition, observé que nombre d’élus ou de militants d’EELV déclarent avoir connu tout ou partie de ces agissements, deux questions me sont venues à l’esprit. Pourquoi dans un parti qui affiche de manière ostentatoire son engagement féministe une telle omerta a-t-elle pu perdurer et pourquoi les victimes n’ont-elles pas porté plainte ?
Pour avoir, comme avocat, été amené à écouter et défendre des femmes qui avaient pris le risque de sacrifier leur emploi pour sauvegarder leur dignité ou à tout le moins de connaître ensuite un déroulement de carrière tumultueux et difficile au quotidien, je me suis étonné que des femmes militantes, éclairées et engagées, qui ne courraient pas les mêmes risques que des salariées victimes des mêmes agissements dans leur entreprise ne s’étaient pas spontanément révoltées contre un homme capable de défendre des positions féministes à l’assemblée et dans les médias et de se conduire en même temps comme un prédateur avec les militantes et les élues de son parti.
La fiction juridique
Et puis j’ai entendu François de Rugy déclarer qu’il fallait laisser la justice faire son travail, ce qui pourrait donner à penser que si le mis en cause n’est pas condamné ce qui est fort probable compte tenu des courts délais de prescription, les faits seront censés n’avoir jamais eu lieu, la fiction juridique se substituera à la vérité des témoignages nombreux et concordants.
Les femmes que j’ai rencontrées sont les plus courageuses, celles qui avaient fait le choix de se battre contre vents et marées en assumant les risques qu’elles encouraient, ce ne sont pas nécessairement les plus nombreuses parce que porter plainte à la suite d’une agression sexuelle ou de harcèlement, c’est le plus souvent pour la victime se condamner à une double peine.
Lorsqu’une femme est victime d’une agression sexuelle on lui demande d’une part d’apporter la preuve des faits, ce qui est loin d’être évident, les prédateurs ne convoquant pas les témoins pour assister à leurs actes, cette preuve des faits constitue ce qu’on appelle dans le jargon des juristes, l’élément matériel de l’infraction pénale, mais on demande de surcroît à la victime d’apporter la preuve que l’auteur des faits avait pleinement conscience que la victime n’était pas consentante pour accueillir l’agression subie, c’est l’élément moral de l’infraction, la conscience claire de son auteur de la transgression. Cette seconde preuve est spécifique aux crimes et délits sexuels parce qu’on ne demande pas à quelqu’un qui a subi un vol ou une agression physique non sexuelle d’apporter la preuve qu’il n’était pas consentant à recevoir des coups ou se faire dérober son bien, la transgression est présumée.
Une quasi-présomption de consentement
Dans la pratique, parce qu’il s’agit d’une pratique et non pas de la lettre de la loi, les policiers et les magistrats se montrent d’une extrême rigueur quant à la charge de la preuve qu’ils font peser sur la victime d’un délit sexuel quant à la pleine conscience de l’absence de consentement dans l’esprit du violeur, de l’agresseur ou du harceleur. Cette rigueur aboutit à la mise en place d’une quasi-présomption légale de consentement de la victime qui subit des attouchements ou un rapport sexuel contraint. Cette exigence n’est pas le fait de la loi mais de l’idéologie patriarcale qui survit dans nos palais de justice. Gisèle Halimi demandait déjà aux juges, il y a plus de trente ans, s’il fallait que les femmes violées soient mortes pour qu’on les croie. C’est un fait que la notion de non consentement à l’acte sexuel demeure une notion suspecte dans les commissariats de police ou les prétoires.
Pour prendre un exemple basique, si je vous offre une bière parce que je sais que vous en buvez volontiers, que vous me la refusez en me disant que vous n’avez pas soif, que je vous attrape par le cou, que je vous enfonce le goulot dans la bouche pour vous contraindre à boire quand même, sauf à avoir totalement perdu le sens commun, personne ne pourra soutenir que je ne vous ai pas forcé à consommer cette foutue bière, même si je prétends, témoignages à l’appui, que vous aimez la bière et que vous en buvez régulièrement. En revanche, si je vous attrape par le cou, non pas pour vous contraindre à boire mais pour vous embrasser, malgré votre refus préalable, je pourrai aisément prétendre que je vous croyais consentante, parce que je sais que vous êtes une femme qui aime embrasser les hommes, que j’ai des amis qui peuvent en témoigner, que vous avez aussi l’habitude de plaisanter ou de vous montrer familière et que vous portez une tenue légère.
Traînée dans la boue
Une femme victime d’agression, ou de harcèlement, doit donc s’attendre à voir l’homme qu’elle accuse produire des témoignages d’amis qui attesteront qu’elle est une femme légère, d’un comportement provoquant et d’une vie privée notoirement dépravée, les pires rumeurs la discréditeront et elle verra un avocat parfois talentueux la trainer dans la boue sans vergogne devant un auditoire affichant un sourire entendu. Cela, c’est la meilleure des hypothèses, quand le parquet n’aura pas d’emblée requis le classement sans suite ou le non-lieu parce que l’absence de consentement n’est pas clairement établi et qu’il a pu justifier le doute dans l’esprit du prévenu.
Les victimes d’agression ou de harcèlement sexuel sont les victimes les plus maltraitées par notre justice, elles sont placées dans un rapport d’inégalité quant à la charge de la preuve. Vouloir obtenir réparation c’est donc souvent se condamner à une double peine. Puisque je n’ai pas confiance dans la justice de mon pays pour protéger ces victimes, je dois donc concevoir que des femmes, fussent-elles engagées en politique, n’aient pas envie de subir cette épreuve.
Que penser de la proposition d’allonger le délai de prescription et de favoriser l’intervention à la procédure d’associations de défense des droits des femmes ? Ces propositions sont intéressantes, elles ne suffiront sans doute pas à modifier radicalement l’attitude de la justice mais il peut être utile de renforcer le rapport de forces dans l’enceinte judiciaire face à un patriarcat qui ne désarme pas facilement.
Le cas d’Orléans
Reste la question de l’omerta de la classe politique. La presse s’en étonne mais nous avons ici même, à Orléans, l’exemple que l’omerta joue aussi au sein de la presse. En 2012, le rédacteur en chef adjoint de la station de France 3 Orléans a été licencié par son employeur pour comportement obscène. La décision était liée à l’attitude de ce cadre à l’égard du personnel féminin de la station. Deux femmes ont prévenu la direction, si elles ont obtenu le soutien des organisations syndicales, elles ont aussi payé le prix de leur courage au regard de la manière dont elles ont été traitées au sein de l’entreprise. La cour d’appel qui a validé le licenciement n’a d’ailleurs pas été tendre vis-à-vis de la direction de la station qui avait longtemps toléré le comportement de ce personnage dans un climat global assez délétère. Lorsque la sanction est tombée et au regard des motifs qui l’avait justifiée, on aurait pu s’attendre à ce que le sujet soit traité abondamment, cela aurait été le cas si l’auteur des faits avait été élu local, archevêque, ou entraineur sportif de haut niveau, mais il s’agissait d’un journaliste, et mis à part Magcentre, l’omerta a joué comme elle joue en politique, comme elle a longtemps joué dans l’église catholique ou dans l’armée française. Ce n’est donc pas à la presse d’en paraître surpris.
La bonne foi de France Inter et Médiapart
En définitive, les femmes d’EELV qui se déclarent victimes de Denis Baupin ont eu le mode de défense le plus efficace, témoigner dans la presse et briser la carrière politique de l’intéressé. Denis Baupin annonce qu’il porte plainte en diffamation, mais il n’a pratiquement aucune chance de faire condamner Mediapart et France Inter, il gagne du temps, mais il parait tout à fait probable que ces deux supports pourront démontrer qu’ils ont mené une enquête sérieuse, dans des conditions de rigueur professionnelle exemplaire, qu’ils ont essayé d’obtenir la réaction du mis en cause. Le nombre de témoignages concordant, les déclarations qui se succèdent de membres d’EELV qui déclarent avoir été au courant de son comportement permettront aisément à Médiapart et France inter de démontrer leur bonne foi, ce qui est suffisant pour les exonérer de toute condamnation.
Ainsi, si Denis Baupin ne risque pas d’être condamné en correctionnelle pour les faits reprochés, son avenir politique est probablement définitivement compromis.
Cette affaire ne grandira pas l’image de la classe politique dans l’esprit public, on se souvient de la manière dont Cécile Duflot avait été sifflée à l’assemblée nationale un jour où elle arborait une robe à fleurs. Elle déclara un peu plus tard que dans une période professionnelle antérieure où elle devait se rendre sur des chantiers du bâtiment, on ne l’avait jamais accueillie ainsi. On évoque aussi l’élastique de la culotte d’une journaliste tirée par un ministre en exercice qui s’excuse en présentant une version édulcorée des faits. Puisque nous savons qu’il y a au cœur de l’état et du pouvoir beaucoup d’hommes qui se conduisent comme des porcs, on relativisera désormais les professions de foi féministes de ceux qui ne s’intéressent à la cause des femmes que lorsqu’il s’agit de clouer au pilori nos compatriotes musulmans accusés en permanence de ne pas respecter le principe d’égalité entre les hommes et les femmes redevenu pour l’heure et pour le seul bénéfice de ces objurgations de circonstance, une valeur fondatrice de la république.
On a d’autant plus de mal à en être convaincu aujourd’hui quand la république, c’est le vote forcé de la loi à coups de 49/3, des femmes qu’on tente de forcer dans le silence complice des partis politiques, et les portes des maisons forcées la nuit par la police, sans avoir à en justifier les raisons et sous le seul couvert de l’état d’urgence. La grande défonce de la république en somme.
P.C
- Les intertitres sont de la rédaction