« Comment les femmes pensent-elles le Monde ? Comment le monde pense-t-il les femmes ?» On ne saurait écarter de ce débat qui s’annonce fort intéressant ce week-end à Orléans le magnifique et poignant roman de l’Iranienne Chahdortt Djavann arrivée en France à 26 ans sans parler un mot de Français et qui en est à son douzième ouvrage dans notre langue. Avec « Les putes voilées n’iront jamais au paradis », elle assène un coup de poing à la face de l’Iran, pays où la prostitution est une quasi institution à laquelle beaucoup d’iraniennes ne peuvent échapper.
Dès les premières lignes, le lecteur comprend qu’entre la fiction choisie comme moyen d’expression et la réalité vécue au pays qui a Téhéran pour capitale, il n’y a que l’épaisseur d’un cheveu de femme. Le récit s’ouvre sur la découverte dans la rue d’un cadavre de jeune femme étranglée. Cela ne peut être qu’une prostituée donc elle n’a eu que ce qu’elle méritait. Affaire classée. Suivent les portraits de deux petites filles magnifiques, deux copines d’école, deux voisines, l’une mariée à douze ans, l’autre qui choisit de s’enfuir pour échapper au même sort : Toutes deux finiront dans l’enfer de la prostitution. Leurs parcours alternés apparaissent tour à tour avec ceux de d’autres femmes dont certaines lapidées d’autres pendues, assassinées parce que prostituées. Ce sont autant de témoignages d’outre- tombe. Chacune exprime ses désirs, ses rêves et sa réalité avec sa langue et ses mots. Ces voix sonnent juste. Parfois crues, ces paroles teintées de l’humour noir que donnent le désespoir et l’implacable destin que leur octroie en partage une société fermée et par bien des côtés archaïque bousculent nos consciences d’êtres
humains.
Ce sont des faits avérés, subis par une multitude de femmes, un vécu actuel intégré et accepté de gré et de force par une société soumise dans tous les sens du terme et qui ferme les yeux, sans doute pour ne pas voir. Chahdortt Djavann dénonce cette immense hypocrisie : au pays des mollahs, de la morale rigoriste sans compromis, la prostitution est une institution nationale et la femme une marchandise dont les hommes disposent pour leur profit financier ou pour assouvir leur frustration sexuelle. C’est puissant, érotique, tragique, révoltant.
En publiant ce roman bouleversant, en mettant dans la lumière une réalité épouvantable, l’auteur souhaite que nous ouvrions les yeux sur cet Iran prétendument en voie de modernisation. Il y a Téhéran, ses quartiers chics, sa jeunesse dorée, dans tout le pays, des femmes qui n’ont d’autre issue que de la prostitution, qui ne peuvent y échapper. “L’islamisme est le pire des régimes, dut Cha, il contrôle la vie intime de chacun” nous dit Chadortt Djavann.
Au fil des pages, en accomplissant ce voyage au bout de l’enfer des mollahs, nous saisissons le non-dit de la folie islamiste, la haine de la chair et du corps féminin en particulier du plaisir qu’il pourrait prendre, et la domination d’une sexualité mâle au nom de laquelle bien des horreurs sont commises à l’encontre des femmes. Au de-là du fait iranien proprement dit, met en lumière l’hypocrisie démente et l’obscurantisme sans limite de tous ceux qui en criant « Allah Akbar ! » proclament la mort pour seul objectif.
Françoise Cariès.
« Les putes voilées n’iront jamais au paradis »
Chahdortt Djavann (Grasset), 208 pages 18 euros