par Gérard Hocmard
On s’y était attendu, puis on n’y avait plus tout-à-fait cru. Et voici que ce matin les radios nous l’annonçaient : le camp des partisans du Leave l’emportait en Grande Bretagne de manière indiscutable.
Rétrospectivement, ce résultat n’a rien d’étonnant. On sait bien que lors d’un référendum, les électeurs répondent à autre chose qu’à la question posée et que l’affect donne à plein. Il semble que ce qui ait emporté le résultat soit la peur savamment attisée à propos de la perte d’identité et de l’immigration. Mais auparavant, tout comme les nôtres, les gouvernement britanniques se sont copieusement servis de l’Europe comme de repoussoir en désignant Bruxelles comme la source de toutes sortes de décisions impopulaires parce que bousculant les habitudes, comme le changement des poids et mesures, ou fixant des normes jusque là inconnues et donc perçues comme arbitraires. Ils ont également, comme on sait, négocié chaque fois que possible des exceptions, dont l’effet a été de renforcer l’opinion dans l’idée que la Commission était source d’obstacles qu’il fallait forcer et que son fonctionnement, du fait d’une administration pléthorique et de gras salaires, était coûteux (ce qui n’est pas faux). Là dessus, la « presse de caniveau » est venue en rajouter dans l’outrance et la désinformation. Finalement, comme dans le roman de Jane Austen, les Sentiments l’ont emporté sur la Raison.

Les résultats montrent une cassure entre le riche bassin de Londres ou les régions qui profitent des subventions européennes d’une part et l’ancien cœur industriel du pays, dont la reconversion depuis plus de vingt ans s’avère laborieuse. C’est quelque part la cassure entre une Grande Bretagne ouverte sur l’étranger, où l’on a les moyens d’aller voyager sur le continent et un niveau suffisant d’études pour ne pas gober les arguments à deux pence de la presse Murdoch, et un pays replié sur lui-même, auquel l’immigration fait craindre pour les emplois qu’il lui reste et qui ne sort guère de son île. Ce résultat est de fait l’indication d‘une opinion déboussolée qui n’a plus confiance dans ses dirigeants à force de s’entendre gaver de belles paroles que vient contredire la réalité et qui a l’impression de ne pas être écoutée.
Ce qui est en jeu maintenant, en dépit de l’euphorie des partisans du Brexit qui se voient déjà régler d’un coup de baguette magique tous les problèmes et entrevoient l’ouverture grandiose de marchés internationaux, va bien au-delà de la rupture des liens politiques et économiques avec l’Union européenne. Les coopérations scientifiques et culturelles, les programmes de recherche, les échanges Erasmus vont nécessairement devoir être redéfinis, ce dont pâtiront inévitablement toutes les parties. Mais surtout, ce n’est rien moins que l’unité du royaume qui est en cause. Les Écossais sont déjà dans les starting-blocks pour un nouveau référendum sur l’indépendance, persuadés qu’ils sont de mettre plus au pot commun que ce qu’il en reçoivent, ce qui est objectivement faux et montre bien que le fond du problème est une question d’identité. L’Irlande du nord, tirée du gouffre comme sa sœur du sud grâce aux fonds européens, s’alarme et souhaiterait rester dans l’Union. Quant au Pays de Galles, annexé à l’Angleterre deux siècles avant que la Bretagne ait été rattachée à la France, il menace de faire sécession.
Il est assez navrant de constater qu’un certain nombre de commentateurs ne semblent pas avoir pris conscience de la perte de substance que va représenter pour l’Europe ce départ de la Grande Bretagne. On a l’impression que le résultat du référendum a libéré une anglophobie latente, donnant lieu à des remarques qui rabaissent leurs auteurs au niveau des partisans les plus primaires du Leave. Parce qu’après tout, les reproches britanniques à l’égard de l’Union européenne sont-ils aussi infondés que cela ? N’y aurait-il pas à profiter du traumatisme pour justement revoir la gouvernance et le fonctionnement de l’Union dans un sens moins technocratique, plus démocratique ?
On peut se poser la question au moment où l’on voit monter çà et là les populismes et ressurgir des brumes de l’Histoire les anciennes rivalités entre les empires allemand, russe et ottoman (appelons-les comme ça). Depuis le traité d’Utrecht, le Royaume-Uni faisait office de lest pour préserver les équilibres européens. La France fait-elle encore suffisamment le poids pour le remplacer ? Le mariage franco-allemand auquel nous nous accrochons à juste titre pour garder cet équilibre a plutôt l’air, par les temps qui courent, d‘un ménage à la Dubout où une grosse dame donne le bras à un petit monsieur.
Deux remarques en tout cas : ce référendum était une colossale erreur politique, mais au moins il a eu lieu et son résultat n’a pas été escamoté… suivez mon regard ; et par ailleurs, outre-Manche, quand un dirigeant politique est désavoué, il démissionne, comme c’est le cas pour David Cameron, et disparaît de la scène politique. C’est évidemment une conception de la démocratie très différente de la nôtre.
Gérard Hocmard