
> Pierre Allorant
Tout de même, quel humour, ces Frenchies ! Programmer dans la Manche le départ du 103e Tour de France, cent ans après le carnage impérial britannique de la Somme, histoire de faire la nique au Brexit, il fallait y penser ! Mais de là à longer au surplus les sables de Utah beach, haut lieu de la bravoure des plages du Débarquement, il fallait oser… De là à voir dans ce choix du département de la Manche, n°50, un clin d’œil malicieux au désormais fameux article 50 des traités communautaires, celui qui prévoit le déclenchement de la sortie d’un Etat-membre de l’Union européenne, il n’y avait qu’un pas – de Calais, évidemment – et certains l’analyseront comme un perfide Saint-Lô de consolation.
Oui, transformer le magnifique Mont-Saint-Michel en une vile motte ironique à l’égard du coach belge et des fiscalement paradisiaques îles anglo-normandes, même le grand exilé de Guernesey n’y aurait pas songé, lui qui dans Feuilles d’automne visait sans doute les tirs délicieusement cadrés d’un Payet, ce Roi s’amuse de nos modernes prés carrés. Suprême élégance, à défaut de Boris Johnson – le déserteur du « day after » – nous avons laissé aux Britanniques le gain de la première étape du Tour : remain, Marc Cavendish, à nous le fair play ! Et à défaut d’entrevoir le bout du tunnel, nos amis d’outre-Manche peuvent toujours se consoler du « désarroi des élèves tories » avec le parcours magnifique d’un enfant de la « bale », le leader altruiste de ces généreux Gallois qui déferlent sur un but belge comme pour aplatir en terre promise un 6 juin 1944 avec un enthousiasme revigorant. L’enthousiasme, nos adversaires islandais n’en manquaient certes pas, et encore moins leurs supporters, aux anges de revenir sans Drakkar sur les rives de la Seine jusqu’à Saint-Denis. En un autre clin d’oeil mémoriel à l’histoire de la Normandie, les valeureux Vikings ont placé deux têtes sans casque et en ont pris cinq sur le crâne, dans un score généreux qui a failli ressembler à un set d’une partie à Wimbledon, l’autre herbe bénie de ce début d’été des sportifs français.
Portugalles et Francs, un dernier quarteron Bardet d’incertitude
Alors quel bilan tirer de cet Euro à l’orée de sa semaine finale ? La bande des quatre demi-finalistes est inédite, grâce à la belle surprise galloise, et en creux aux nouvelles déceptions anglaise et espagnole, mais les trois autres qualifiés sont des habitués des derniers soirs. France-Portugal à Marseille aurait été un parfait remake de 1984, en une sorte de « Big Platini is watching you », avec débordement de Tigana-Matuidi à la clé, en guise de délivrance ; mais France-Allemagne est encore plus gorgé de souvenirs, certes avant tout mondialistes, au point que l’on pourrait croire que Séville 1982 n’est que le prolongement, par d’autres moyens, du partage de Verdun mille ans auparavant entre Francs des deux rives. Par malheur pour elle, la brillante Belgique lotharingienne a sombré samedi, alors qu’elle jouait pourtant à domicile à Lille, victime du syndrome étatique de désunion communautaire, n’étant pas parvenu, au-delà du premier quart d’heure, à démontrer que le côté de Hazard pouvait converger avec le côté de de Bruyne pour reconstituer une harmonie du Temps retrouvé. Peut-être vaudrait-il mieux chercher la petite madeleine de la nostalgie du côté du Tour, qui n’est plus ce qu’il était, et scruter la naissante rivalité Bardet/Pinot pour découvrir des senteurs renouvelées du combat Fignon-Hinault, lui-même excellent remake du « je t’aime, moi non plus » Poulidor-Anquetil sur un autre volcan, le Puy de Dôme.
Un pays comme le nôtre
En Somme, comme on disait il y a cent ans, deux quarts de finale avec de la robe et des buts en pagaille, gouleyants comme une première gorgée de Pinot, et deux Voyages au bout de l’enfer des prolongations et tirs au but, avec, cerise sur le Bavarois, un festival de maladresses inusitées des tireurs transalpins et des partisans de la Grande Mannschaft, encore une fois sauvés des eaux de la Garonne par Neuer. Comme aurait pu dire le vainqueur de Cherbourg, le sprinter slovaque Sagan, Bonjour Tristesse pour le grand Buffon, dont la longue mémoire de l’Euro ressort meurtrie, même si toute comparaison avec le Testament du poète Elie Wiesel, ce mendiant de la paix de Jérusalem, serait déplacée. Buffon/Neuer, une Mémoire à deux voix de gardiens de légende, écho lointain de l’ouvrage terminal de Mitterrand et Wiesel, gardiens du souvenir des ravages du nationalisme en Europe, message bien oublié vingt ans après, y compris dans Un pays comme le nôtre.
On comprend mieux la langue de bois pratiquée avec dextérité par Didier Deschamps, aussi virevoltant que Griezmann et dominant dans les airs que Giroud, pour noyer le poisson de toute question gênante : en sport comme en politique, le « parler vrai » ne paie pas toujours, mais sélectionner, c’est choisir et assumer. Jusqu’ici, tout va bien. La preuve ? Qui parle encore des polémiques Benzema-Valbuena ? Avant le marathon annoncé des Primaires présidentielles et de l’élection américaine, votons sans hésitation pour le « ticket » Griezmann-Payet ! Avec leurs acolytes Pogba, Matuidi, Giroud, ces bleus-là ne sont pas à l’âme, mais il leur reste, soyez-en sûrs, plus d’un tour dans la manche.