La pièce débute par la gesticulation d’un professeur de littérature qui, drapée dans quelques citations sulfureuses du poète romantique anglais Byron, nous étale ses frasques sexuelles entre prostituée noire et jeune étudiante contrainte à être “consentante”… impression troublante de ne pas comprendre ce que l’on croyait être venu voir: une pièce adaptée du romancier sud africain Coetzee qui nous parlerait de la fin de l’apartheid dans son pays.
Et cette scène liminaire, un peu obscure malgré le plein feu et le décor minimaliste totalement épuré, où s’oppose le jeu exubérant du professeur David Lurie au jeu glacial de ses proies, où d’étranges traces de couleur apparaissent sur les visages, cette scène laisse, dans une soudaine rupture, place à un décor très naturaliste avec sol en terre, vraie poule et viande sanguinolente: la pièce “atterrit” violemment sur le sol de l’Afrique du Sud. Le professeur Lurie continue dans ce nouvel univers sa gesticulation névrotique et, avec cette “disgrâce” qui s’installe, un sens se dessine, les interrogations deviennent alors prégnantes dans cette transposition de la domination sexuelle masculine dans le registre du racisme, là où le viol est devenu la norme. Dans ce présent post-colonial où les codes changent, s’inversent, David Lurie, représentant malgré lui d’une société finissante, a soudain peur de l’autre, de sa propre déchéance, peur du prix à payer pour sa culpabilité, et nous entraine inexorablement dans son angoisse du changement en marche…
Loin d’un discours manichéen, la pièce nous interpelle individuellement, au fond de nous mêmes sur nos peurs, nos instincts, nos modes de relation à l’autre, la politique s’incarne dans des relations humaines que nous devons ne pas cesser de décrypter si nous ne voulons pas sombrer dans cette “disgrâce”. Eveil de la vigilance, si essentielle pour vivre dans ce monde en mutations incertaines, vigilance qui nourrira la réflexion de chacun, y compris celle des nombreux lycéens présents ce vendredi soir.
Gérard Poitou
“Disgrâce” d’après le roman de John Maxwell CoetzeeMise en scène de Jean Pierre Baro
CDN Orléans