Ça y est, Le Meilleur des Mondes est là et l’on peut se demander si 1984 et Big Brother sont encore loin. On ne peut qu’être stupéfait de la discrétion des médias à propos de la décision – prise par décret et sans contrôle parlementaire pour ce qui est quand même une décision grave – de créer un TES, c’est-à-dire un fichier des Titres Électroniques Sécurisés.
Par Gérard Hocmard,
Professeur de Première supérieure honoraire
Ce fichier regroupera, pour tous les Français, l’indication de leur état civil, de leur adresse et de leur filiation. Y seront également entrées la couleur de leurs yeux, une image numérisée de leur visage et celle de leurs empreintes digitales.
Mais ne tremblez pas, bonnes gens. Il s’agit simplement de l’extension aux cartes d’identité du fichier central des données recueillies pour les passeports. Le but est uniquement de faciliter les démarches administratives, de récupérer par exemple facilement son extrait de naissance ou de faire refaire un document égaré, uniquement ! On peut imaginer qu’accessoirement cela puisse servir dans la lutte anti-terroriste, bon, mais – promis, juré – la police n’aura pas accès aux données les plus sensibles ; elle ne pourra par exemple pas rechercher une identité à partir de photos d’un visage ou d’empreintes. Quel est alors l’intérêt et de qui se moque-t-on ?
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, spécialement compétente pour juger de ces choses, a bien émis des réserves, justement sur l’absence de contrôle parlementaire d’une mesure qui présente un tel risque pour la démocratie. Mais qui s’en soucie ? Or l’enfer, comme on sait, est pavé de bonnes intentions. On n’a jamais vu dans l’Histoire de régime s’abstenant d’utiliser les moyens de contrôle, c’est-à-dire de pouvoir, à sa portée et l’on sait en France ce qu’il en est des fichiers établis par la police sous le régime de Vichy, dont certains traînent peut-être encore dans des tiroirs. Pour le moment, les craintes sont réduites, mais et si demain des orages se lèvent ?
Voici en tout cas ce que disait naguère à la tribune de l’Assemblée l’actuel Garde des Sceaux lors de la discussion de ce projet de fichier sous une majorité de droite :
“Ce texte contient la création d’un fichier à la puissance jamais atteinte dans notre pays puisqu’il va concerner la totalité de la population !
Aucune autre démocratie n’a osé franchir ce pas. Qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ? […] Aucun système informatique n’est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n’est toujours qu’une question de temps.”
On ne le lui fait pas dire.