Les anciens enfants gourmands se souviennent avec nostalgie de ces calendriers qui anticipaient sur les plaisirs gustatifs de Noël en y associant la joie de la découverte de la douceur surprise cachée derrière la languette quotidienne. Même si l’optimisme de François Hollande est légendaire, on peut douter de sa capacité à voir dans les six mois qui nous séparent de l’élection présidentielle, la vraie, une route paisible de plaisirs partagés. Éviter un chemin de croix sera son premier objectif dans ce parcours du combattant qui se présente à lui, au lendemain du triomphe de la vague conservatrice sur le retour des « valeurs françaises » prôné par François Fillon.
Pierre Allorant
Doyen de la faculté de Droit d’Orléans
Élimination directe et chamboule-tout
Les événements effacent vite le souvenir : qui a encore à l’esprit qu’il y a une dizaine de jours à peine, Alain Juppé était le plus probable prochain locataire de l’Élysée, et Nicolas Sarkozy encore crédible dans sa quête de revanche sur le second tour serré de 2012 ? Comme dans les derniers matchs, les plus passionnants, des grandes compétitions sportives, les longues phases de poules s’achèvent, les phases finales s’ouvrent enfin, qui éliminent directement et dégagent le paysage.
Mais les favoris « sur le papier » ne sont pas tous au rendez-vous, dès lors que les électeurs semblent apprécier de se livrer à une sorte de « chamboule-tout » des scénarios imaginés par les sondeurs et les analystes, ces nouveaux boucs-émissaires des adeptes du discours anti-élites. Il est vrai qu’encore cette semaine et jusqu’à hier, les sondages sont restés moins éclairants et précis que le simple report des rapports de force du premier tour et ont encore sous-estimé la dynamique du vainqueur et la profondeur d’un double rejet : de la personnalité de l’ex-président au premier tour, du programme du favori d’hier au second.
Demandez le programme, du plébiscite au référendum
Les candidats crédibles à la victoire finale se réduisent comme peau de chagrin, les électeurs de droite ont fait le ménage, balayé devant leur porte – si l’on excepte trois poussières dans l’œil du vainqueur des primaires : Guaino, Alliot-Marie et Dupont-Aignan – et réussi à concilier l’inconciliable: écarter définitivement l’ancien président sulfureux tout en rejetant un programme jugé trop ouvert sur le centre, trop européen, trop optimiste sur l’identité française par beaucoup d’habitants des campagnes et des petites villes marginalisées par la mondialisation, du maire de Bordeaux, la métropole heureuse par excellence, mais maudite comme tremplin élyséen, de Chaban à Juppé.
Place de la République en état d’urgence
Un petit chelem des départements, les 2/3 des voix, donc les ¾ des suffrages de la droite, soustraction faite des votants de la gauche, la victoire de l’aile « identitaire » du légitimisme des terres de l’Ouest est impressionnante. Cette déferlante marque comme une double réplique aux chocs telluriques du quinquennat : le traumatisme fiscal des familles des classes moyennes supérieures, le rejet violent dans certains milieux du « mariage pour tous » et la réaction « communautaire catholique » de traditionalistes minoritaires, mais puissants, à la menace du terrorisme islamiste.
De ce fait, alors que la pré-campagne estivale avait, avec obsession, traité de la compatibilité de l’Islam avec la République, la place prise par les militants de « Sens commun » (sic) dans le triomphe conservateur de l’ancien député de la Sarthe a remis au premier plan les débats d’il y a un siècle sur l’influence cléricale et la place de l’Église, voire du Pape, dans les lois de la République, singulièrement sur les mœurs, la famille et les droits des femmes.
Le Millefeuille des territoires de la gauche
Avec Juppé, l’élection était « pliée », la droite unie au centre tenait sa victoire. Avec Fillon, le débat sera rude, sur les idées, les valeurs et les projets, une bonne nouvelle pour la démocratie, et une mauvaise potentielle pour Marine Le Pen, tant les dysfonctionnements du système politique et les divisons de personnes de la droite ont toujours alimenté la résistible progression du FN, en particulier celui, identitaire, catholique et réactionnaire, du Sud-Est.
Qui affirmerait encore aujourd’hui avec certitude la présence de sa candidate au second tour prendrait un risque, même si un face-à-face entre celle-ci et François Fillon reste le plus probable, du fait de l’éclatement ahurissant de la gauche. Fidèles à eux-mêmes, ou plutôt à leur caricature, le reliquat du grand parti de la Troisième République, les radicaux de gauche, ont apporté leur pierre à cette déconstruction en investissant Sylvia Pinel, ex-ministre peu vindicative de ce quinquennat, qui a laissé son patronyme a un dispositif fiscal. Après avoir sauvé le département, à rebours de la logique de la loi NOTRe, le parti de la Dépêche du Midi vient s’installer à côté de Mélenchon et de Jadot, porteurs eux d’un message distancié des gouvernements sortants, et Macron au centre-gauche : n’en jetez plus !
De la « Belle Alliance » à la « Grande Illusion »
Eh bien si : le président de l’Assemblée nationale, pourtant co-auteur d’un rapport sur l’amélioration des institutions, contribue à les ruiner par vengeance personnelle, encore un dégât collatéral des confidences imprudentes de François Hollande aux journalistes. Blessé de ne pas avoir été considéré comme un postulant crédible à Matignon, celui qui a pour principal fait d’arme d’avoir réussi à perdre l’Ile-de-France en insultant Valérie Pecresse, pousse au crime l’ambitieux premier ministre qu’il rêvait de remplacer, au risque de Lassay. Quant à Manuel Valls, le voir défier le président de la République ne manquerait pas de sel, lui qui a œuvré pour écarter son prédécesseur, le loyal Ayrault, au nom de la bonne marche des institutions, de concert avec Hamon et Montebourg, puis qui a bataillé contre les frondeurs au nom des « deux gauches irréconciliables », avant de pourfendre en Emmanuel Macron un Brutus indigne. Si les primaires de la gauche n’évitent pas l’éparpillement des candidatures tout en ridiculisant la Cinquième République, à quoi bon ? Après tout, à 57 ans révolus – pas encore l’âge légal de la retraite – cette vieille dame n’a pas l’âge de commencer une carrière d’indignité.