Dans la légende napoléonienne, le retour triomphal, mais temporaire, de l’Aigle corse au pouvoir, de mars à juin 1815, a contribué à nourrir le mythe de « l’homme providentiel ». Sous la Cinquième République, née dans le sillage du retour au pouvoir du général de Gaulle le 13 mai 1958 à la faveur du soulèvement d’Alger, le sort de l’élection majeure depuis 1965,
la présidentielle, se joue tardivement.
Par Pierre Allorant
Depuis l’alternance de 1981, les enjeux et les choix des électeurs se cristallisent au cours du mois de février, renversant les pronostics hasardeusement établis à l’automne. Nous sommes à 100 jours du premier tour, et la primaire de la « Belle alliance populaire » apparaît bien tardive pour inverser le rapport de force droite/gauche. En revanche, le positionnement des principaux candidats, l’absence de sortants dans chaque camp et la crise profonde du système représentatif, cumulée à l’affaiblissement des partis traditionnels, rendent particulièrement incertaine l’issue de ce scrutin.
« Toujours vivante » ? Sauve qui peut, la gauche…

Au moment où Renaud, revenu des enfers addictifs, bat les records de ventes de disques, la gauche gouvernementale peut-elle encore espérer conjurer miraculeusement sa descente aux enfers ? Est-elle « toujours vivante » ou bien aphone, alors que Hollande n’a été retenu par aucune imprécation du type « ne me quitte pas » ? A l’inverse de François Mitterrand en 1988, la résignation au « laisse béton » a été massive, sans l’ombre d’un mistral gagnant à l’horizon.
Le premier enjeu le plus visible et immédiat de ces primaires est celui du niveau de participation, d’autant qu’il aura de fortes répercussions sur son résultat comme sur la dynamique transmise au vainqueur. Or l’effondrement et la résignation du parti socialiste, sa perte de substance militante inquiétante (moins de 50 000 adhérents à jour de cotisation) l’ont obligé à réduire le dispositif des bureaux de vote sur le territoire par rapport au précédent de 2011. Le pari est risqué : en dessous d’un million de votants, ce serait une déroute qui délégitimerait le candidat survivant ; le seuil des deux millions semble un minimum à atteindre, alors que le niveau de 2011 (de 2,5 à 2,8 millions) et a fortiori le score des primaires de la droite en novembre (plus de 4 millions) semblent hors d’atteinte.
Problème pour Manuel Valls : son éventuelle victoire paraît liée au soutien du seul « noyau dur » des adhérents légitimistes du parti, ce qui le condamne à une alternative peu enthousiasmante : la défaite en cas de succès populaire, ou bien une victoire à la Pyrrhus si les primaires sont boudées, ce qui le placerait en grave position de faiblesse face à Emmanuel Macron pour le « vrai » premier tour, le rendez-vous d’avril.
La « drôle de campagne » : un précipité instable
Inédite, expresse, avant tout télévisée avec des débats en rafale groupés en une semaine, « Blitzkrieg », « sprint », cette drôle de campagne se caractérise par la brièveté et l’instabilité des positions acquises. Décapitée par le renoncement du président sortant, cette primaire est une sorte de canard sans tête dont le timing n’avait été pensé que pour faciliter la tâche au sortant sorti du jeu.
Il y a décidément une discordance troublante chez les socialistes entre procédures et contenu, puisque pareillement, ce sont massivement des tenants d’une Sixième République davantage parlementaire qui postulent à revêtir les habits trop larges du général de Gaulle. Petite revue d’effectifs avant leur premier débat : Valls affaibli par un démarrage raté, un slogan plagié sur Royal, un hymne de campagne repris de Chirac, une stratégie plombée par le reniement du 49.3 ; Montebourg gêné par « l’abdication » de son meilleur ennemi ; Peillon entravé par la contradiction entre ses soutiens et la défense du bilan de Hollande ; seul Hamon a tiré bénéfice du début de campagne, par la cohérence de son positionnement, mais le tout reste très fragile, et ces quatre postulants restent en mesure de l’emporter à la fin du mois, si l’on en croit la jurisprudence Fillon qui témoigne qu’on peut l’emporter en 15 jours en partant de 10 % dans les sondages. Le défi redoublé pour l’ex-premier ministre, récemment secouru par son successeur Cazeneuve sur les terres mitterrandiennes, cible facile pour toutes les carences du quinquennat finissant, consiste à arriver très haut dès le 22 janvier pour éviter le référendum anti-Hollande le dimanche suivant. Avec au final, un effet pervers dont la droite est en train de mesurer les conséquences : désigner un candidat au cœur des préoccupations de son camp, est-ce la meilleure voie pour convaincre la majorité de l’électorat français ? Alors que Hamon et Montebourg sont les mieux placés pour réconcilier les gauches écologistes, associatives, frondeuses et protestataires, l’écartement de Valls et de Peillon laisserait à Macron un boulevard pour occuper le rond central, même au cas où Bayrou tenterait –imprudemment– un dernier tour de chant.
Le jour d’après : repositionnements et cristallisation de février

Seule certitude : dès le 30 janvier, le paysage de la présidentielle va se préciser, se recomposer. En fonction du vainqueur et de sa marge de victoire, des repositionnements s’opèreront : déçus de la défaite de Juppé, ministres hollandais en déshérence, centristes orphelins de Bayrou feront l’objet de toutes les entreprises de séduction. François Fillon doit enfin sortir de son « trou d’air » sans diluer son programme ni se « balladuriser ». L’autoproclamé candidat « chrétien et gaulliste » devrait démontrer que sa traversée du désert ne perdure pas et que sa réussite ne l’a pas abandonné en route, voire en marche. Quant à Macron, qui marche actuellement sur l’eau, il devra prendre garde au retour du bâton des médias, qui adorent brûler à la chandeleur en février ce qu’ils ont adoré à Noël au balcon. Or le « ni droite, ni gauche » ne peut servir durablement de bouclier, il lui faudra sortir de l’ambiguïté, mais aux dépens de ses adversaires.
La société française est-elle prête à se donner au fringant apôtre du libéralisme libertaire, ou bien préfèrera-t-elle le repli identitaire, sécuritaire et conservateur ? Faîtes vos jeux : la dissémination de la gauche milite pour la probable alternance au profit de la droite, mais le mouvement et la séduction, la nouveauté apparente ne sont pas de son côté. C’est ce qui rend le trimestre à venir passionnant : le vainqueur de mai ne sera probablement pas de gauche, mais pas forcément de droite non plus, et cette incertitude est déjà une surprise. Avec pour cerise sur le gâteau la possibilité de l’absence du FN du second tour, l’année ne commencerait pas si mal.