Blois : opération séduction pour les francs-maçons

Les 11 et 12 février, les 2e Rendez-vous maçonniques de Blois rassemblent un public d’initiés ou de simples curieux autour de la franc-maçonnerie. Les loges maçonniques, qui fêteront en 2017 leur troisième centenaire d’existence, suscitent toujours autant de fantasmes impitoyables, d’admiration cachée, de méfiance cultivée. Mais l’enjeu le plus important pour les francs-maçons réside aussi dans leur capacité – ou pas – à attirer la jeune génération, peu adepte du temps long et plutôt fascinée par d’autres réseaux sociaux.

Vous avez dit francs-maçons ? Les violeurs d’enfants et buveurs de sang en petits groupes dans des lieux tenus secrets où l’on ne rentre qu’après avoir été soi-même initié ? Cliché ! Fantasme ! Distance impitoyable ! Les francs-maçons suscitent en effet autant de fantasmes – parfois les plus abominables – que d’admiration inavouable ou de méfiance, et cela depuis si longtemps qu’on se demande comment ces obédiences humanistes ont pu traverser trois siècles depuis leur apparition, du côté de Bordeaux, de ces « fraternités » venus du nord de l’Angleterre et de l’Écosse.

“Le fantasme a envahi la réputation maçonnique”

L’association CPMRC (Culture et patrimoine maçonnique en région Centre), dont la présidente est Nelly Besnard, organisait pour la deuxième année les « Rendez-vous maçonniques de Blois », calqués sur les Rendez-vous de l’Histoire qui se déroulent chaque mois d’octobre. Au programme de ces deux jours : cinq conférences, sept tables rondes, un salon du livre maçonnique, une exposition thématique. En 2016, la première édition avait attirée 2.000 personnes, francs-maçons ou pas. Un chiffre qui peut apparaître ridiculement faible au regard des fantasmes suscités par la franc-maçonnerie, souvent accusée de sectarisme, d’être des « cabinets noirs » de la République, d’influencer les politiques etc. « Depuis 10 ans nous menons au Grand Orient de France une politique volontairement d’ouverture », explique le chercheur et romancier Jacques Ravenne, grand spécialiste des rituels initiatiques et mythes fondateurs de la franc-maçonnerie. « Or plus on ouvre, plus les gens pensent qu’on leur cache les choses, que nous sommes conspirationnistes. C’est un vrai problème de communication : le fantasme a envahi la réputation maçonnique », se lamente-t-il, en marge des Rendez-vous maçonniques de Blois.

Travailler à l’amélioration de soi-même

Il faut dire que pendant longtemps – et sans doute encore aujourd’hui pour un bon nombre des 150.000 francs-maçons recensés en France – les « frères et sœurs » ne voyaient pas l’intérêt d’ouvrir leurs portes et d’avancer à visage découvert. C’est du reste souvent mal vu voire risqué dans la plupart des milieux professionnels. Un outing que Laurent Kupferman, auteur de Trois minutes pour comprendre la Franc-Maçonnerie, et collaborateur à l’hebdomadaire Marianne assume totalement, à plus d’un titre : « Il faut accepter de subir les désagréments de l’outing volontaire. On est souvent la cible de l’extrême droite, dans les débats ou conférences c’est souvent très tendu », témoigne celui qui cumule deux outing : celui d’être gay et franc-maçon. Ce qui, en France, ne rend pas la vie très facile…

Yves Piau et Patrice Desloges (GOF).

Yves Piau, vice-président de l’association CPMRC, ancien maire de Saint-Aignan-sur-Cher jusqu’en 2008, ancien conseiller général, avait depuis très longtemps eu envie de frapper à la porte d’une loge, en l’occurrence le Grand Orient, « pour l’intérêt des questions sociétales », avoue-t-il. Ses engagements électifs l’en avaient empêché : « être franc-maçon c’est travailler à l’amélioration de soi-même, sur du temps long. Ce temps, cette disponibilité, il faut l’avoir. Quand j’ai été battu aux municipales en 2008, et aux cantonales, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais ».

La franc-maçonnerie peut-elle disparaître ?

Un franc-maçon passe par un an d’apprentissage, sans parler mais en écoutant attentivement, puis il apprend à parler en respectant la parole des uns et des autres, en attendant son tour, etc. Il prépare des « planches », sorte de conférences sur un thème donné qui permettent d’enrichir ses frères (ou sœurs) et d’avancer dans l’initiation. Tout cela prend du temps, est très codifié, il est donc difficile de séduire les jeunes générations, adeptes du temps très court, de l’immédiateté, et qui trouvent leurs réseaux plus volontiers sur Internet et les réseaux sociaux que dans des loges… dont ils ignorent souvent jusqu’à l’existence ! Alors les rendez-vous maçonniques de Blois : une opération séduction pour les francs-maçons ? « Il n’y a aucun prosélytisme », affirme Yves Piau, « mais il est vrai que le renouvellement nous préoccupe. Les moyens de communication des jeunes sont différents. Ils sont beaucoup moins dans la lecture et l’écriture ». La moyenne d’âge du Grand Orient de France est de 58,4 ans, a fait observer un auditeur de la table ronde Pourquoi être franc-maçon au XXIe siècle ? samedi 11 février en fin de matinée, devant un public clairsemé dans l’hémicycle de la Halle aux Grains. « Le poids de cette histoire, le poids négatif d’avoir 300 ans c’est finalement de croire qu’on ne peut pas disparaître. La maçonnerie est à moment clé pour elle. Pourquoi faut-il que les francs-maçons s’affichent ? On parle beaucoup de ‘résistance’, mais il faut devenir un peu plus combattant, au bon sens du terme » a-t-il ajouté à l’adresse de Laurent Kupferman et Marie-Dominique Massoni (membre de la Grande loge féminine de France, auteur de Du Féminin et sa quête en franc-maçonnerie).

Résumons : à bien écouter les frères et sœurs, la franc-maçonnerie n’est ni une secte, ni un « réseau », ni un « cabinet noir », c’est un « cheminement initiatique mené avec d’autres », une « méthode d’appréhension de soi-même » ; elle n’est pas « secrète, mais discrète », selon Nelly Besnard, un « rassemblement de ce qui est épars », un lieu de « solidarité », et d’une « liberté absolue de conscience », etc. Mais elle est face à l’enjeu crucial de son renouvellement. Elle a donc du pain sur la « planche »…

F.Sabourin.

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