“Ils fuyaient pour échapper non pas à leur passé, mais à leur avenir !”
Nul doute que l’événement théâtral de la semaine passée à Orléans fut la présentation du premier spectacle de Séverine Chavrier, nouvelle directrice du CDN depuis janvier, qui trouvait là l’occasion de présenter à un public, venu nombreux et avide de découvrir la mise en scène d’un spectacle créé par celle-ci en 2014.
Et la surprise fut sans doute à la hauteur des attentes du public avec cette adaptation d’un texte de William Faulkner, “les Palmiers sauvages”, histoire folle et tragique d’une fugue amoureuse, aussi inéluctable que dévastatrice. Cette fuite du roman trouve ici une forme étrange d’immobilisme sur un plateau de théâtre qui résume par son décor éclectique une sorte d’imbroglio mental qui enferme les deux amants. La pièce réécrite en trois actes, ou en trois stations d’une Passion, mixe des dialogues volontairement triviaux avec des effets scéniques et sonores particulièrement élaborés, jusqu’à la projection vidéo d’une étonnante caméra infra-rouge nous montrant les personnages sur la scène obscure, technologie comme un contrepoint à la nudité des acteurs, simplement barrées par la ceintures de piles de leurs micros HF, curieux micros serre-têtes qui éliminent toute spatialisation du plateau théâtral dans un style d’émission radiophonique…
– Voilà ce qui m’est arrivé, dit Wilbourne. J’avais trop attendu. Ce qui aurait été deux secondes à quatorze ou quinze ans a duré huit mois à vingt-sept. J’étais en état d’éclipse et nous avons failli toucher le fond, au bord du lac du Wisconsin, enfouis sous la neige et demi-morts de faim avec deux dollars et vingt cents de provisions pour nous deux. J’ai triomphé de cela. J’ai cru l’avoir fait. J’ai pensé m’être réveillé à temps et avoir été vainqueur; nous sommes revenus ici et je me figurais qu’on vivait comme des princes jusqu’à cette veille de Noël où elle me parla du magasin ; alors j’ai compris dans quel pétrin nous étions tombés; j’ai compris qu’avoir faim n’était rien, ça ne risquait guère que de nous tuer, mais l’autre chose, ah ça, c’était pire que la mort ou même que la séparation; c’était le mausolée de l’amour, le catafalque puant du cadavre porté entre les formes ambulantes et privées d’odorat de l’immortel insensible exigeant un peu de viande ancienne.”
Comme le disait Pierre Bergounioux (auteur de “Jusqu’à Faulkner”), dans une conférence donnée pour l’occasion au CDN, William Faulkner, c’est la découverte de “la théorie de la relativité en littérature”, belle métaphore qui montre toute l’originalité du travail d’écriture de l’auteur américain qui se refuse au statut de narrateur omniscient pour une approche où le point de vue dépend de chaque personnage protagoniste de la scène romanesque.
On peut bien sûr épiloguer sur l’adaptation théâtrale d’un texte littéraire aussi fort, mais le spectacle proposé par Séverine Chavrier (qui l’accompagne au piano), est sans doute par son innovation même, une façon de restituer la puissance du texte de Faulkner, de lui donner cette présence physique de deux acteurs qui, jusqu’à l’étonnante scène finale, vont questionner notre regard sur la passion amoureuse, comme si nous aussi, nous faisions partie de cette “relativité faulknerienne”…
Gérard Poitou
“Les palmiers sauvages”
D’après le roman de William Faulkner
Mise en scène Séverine Chavrier
Avec Séverine Chavrier, Laurent Papot, Déborah Rouach
Dramaturgie Benjamin Chavrier
Scénographie Benjamin Hautin
Son Philippe Perrin
Lumière David Perez
Vidéo Jérôme Vernez
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