En pleine vague caniculaire, le Président de la République se retrouve en première ligne sur plusieurs fronts majeurs. Ayant réussi son entrée en matière, tant sur le plan de l’incarnation présidentielle que sur la scène diplomatique, Emmanuel Macron est déjà ramené aux dures réalités de la politique intérieure. Entre ses engagements de campagne, l’espérance d’un redémarrage de la croissance économique et l’étau de la dérive budgétaire, le chemin de crête à arpenter s’avère très étroit.
Par Pierre Allorant
Combat des chefs
Le plus symbolique est le bras de fer entamé avec le chef d’état-major Pierre de Villiers, qui a annoncé sa démission ce mercredi. Si le rappel à l’ordre et au silence dans les rangs a été rude, le principe de soumission de la hiérarchie militaire au pouvoir civil est bien un des fondamentaux non seulement de la République -la IVe est morte de l’avoir oublié au gré des conflits de décolonisation – mais tout bonnement de l’Etat de droit.
Très loin de la purge opérée par Erdogan l’an passé ou de la mise à l’écart des généraux félons de l’OAS par le fondateur de la Ve République, ce retour à une stricte obéissance de la “Grande muette” nous renvoie à la reprise en main de la conduite de la Grande Guerre il y a cent ans par Clemenceau, en novembre 1917. Si la guerre est bien une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires, il appartient pleinement, aujourd’hui comme hier, aux parlementaires de contrôler les crédits militaires et, au besoin, la conduite des opérations (d’où en 1915 la mise à l’écart de Joffre sous la pression de la commission du Sénat), puis à l’exécutif d’assumer la direction des négociations de paix ; dans “Grandeurs et misères d’une victoire”, le Tigre justifie ainsi la
marginalisation de Foch à Versailles et du général Mangin en Rhénanie : ce n’était pas aux chefs militaires de décider du sort de l’Allemagne vaincue.
Le chef désarmé ?
Si l’Armée n’est plus depuis 1945 une muette politique privée de droit de vote, le traumatisme de la “guerre sans nom” confère aux prises de position de ses officiers supérieurs une odeur de soufre. Pierre de Villiers était sans aucun doute dans son rôle en tirant le signal d’alarme, en tête à tête avec le Président de la République, sur le risque de discordance entre l’ampleur des engagements militaires de la France et la peau de chagrin des crédits d’équipement. En revanche, sa sortie, qui plus est dans un langage troupier, devant les parlementaires était une faute.
Mais Emmanuel Macron en a sans doute commis deux autres de son côté en laissant Bercy annoncer, sans anesthésie ni concertation, une telle coupe franche au mépris de sa promesse de moyen terme d’atteindre les 2% du budget de l’Etat ; au demeurant, ce serait-il mis autant en délicate posture s’il avait maintenu le populaire et respecté connétable Le Drian, au lieu de lui substituer l’ancienne secrétaire d’état au budget de Jospin, Florence Parly 2, excellente connaisseuse des arcanes de Bercy, mais pas de la rue Saint-Dominique et encore moins du moral des troupes. L’autorité est indispensable à la stature présidentielle surtout en matière régalienne, mais l’autoritarisme peut maladroitement le faire apparaître en chef désarmé.
Intérêt supérieur
Toutefois, dans la compétition qui fait rage entre les grandes nations du XXIe s., les armes ne sont pas les seuls attributs de la puissance. Sauf à vouloir concurrencer en vain les économies à très bas salaires, la voie la plus rationnelle consiste pour la France, à l’instar de l’Allemagne, à monter en gamme en fournissant des produits de très haute technologie, appuyés sur la qualité et la productivité des salariés et sur l’excellence de l’innovation. Cette politique a en outre le mérite de renouer avec les forces vives du pays depuis la Révolution , de s’appuyer sur les ingénieurs et les industries de pointe qui ont fait la réputation et la prospérité de la France.
Mais là encore, Le sabre de Bercy vient mettre à mal le serment de campagne de “sanctuariser” l’investissement dans les formations supérieures et la recherche, bref, l’avenir. Or tailler et atteindre l’os au moment où la génération du baby-boom de l’an 2000 frappe, parfois en vain, aux portes de l’université n’est pas seulement un regrettable parjure. C’est une faute envers la jeunesse et un risque grave de mettre le feu aux poudres aux amphis dès la rentrée, au moment précis où le gouvernement, nonobstant le code du travail, s’attaque aux deux tabous du système français, le bac et la non-sélection à l’entrée de l’université. En l’occurrence, ouvrir autant de fronts est déraisonnable même pour un moderne Premier Consul, comme on l’enseigne de longue date à l’école de guerre.
Libre administration
Et pourtant, “en même temps”, Emmanuel Macron vient d’annoncer un autre chantier tout aussi périlleux : alors que la réforme territoriale de 2015 n’est pas encore digérée, que les 13 grandes régions et les 22 métropoles prennent à peine leur marque, le Président, non content de raboter de 80% leurs recettes en taxe d’habitation, se lance en deux combats douteux : le rabot des crédits et la réduction du nombre d’élus locaux. Faute de pouvoir entrer dans les détails d’un plan à l’état d’annonce, on rappellera ici trois éléments lourds de menaces pour l’exécutif national.
En premier lieu, la libre administration des collectivités territoriales de la République est un principe constitutionnel, dont le respect suppose des ressources propres effectives. Autrement dit, même compensée à l’euro près par une dotation versée par l’Etat central, Le risque d’une censure pour inconstitutionnalité pèse sur la quasi suppression de la taxe d’habitation.
Passant du juridique au politique, le Président, jamais élu avant son triomphe élyséen de mai 2017, mais qui envisagea un temps de postuler à la mairie du Touquet, devrait bien réfléchir au poids et à l’influence des 500 000 élus locaux, avant tout municipaux, la plupart bénévoles, qui forment le socle vivant de notre République décentralisée.
Au moment où le mouvement En marche !, opulent mais pas encore doté de réseaux territoriaux, tente de s’implanter au Sénat fin septembre, l’annonce est pour le moins maladroite.
Enfin, puisque 2017 renoue avec 1959 et 1962, avec “un Président qui préside” comme l’avait voulu Michel Debré, Emmanuel Macron gagnerait à avoir à l’esprit que ce n’est pas un “quarteron de généraux en retraite” qui a contraint le général de Gaule à un départ cette fois définitif, mais bien la fronde du Sénat m, arc-bouté sur ses prérogatives et hostile à la régionalisation. En 2018 comme en 1969, sans parler de 1992 ou 2005, un référendum ressemble toujours à une roulette russe. Et mieux vaut y réfléchir à deux fois avant d’y risquer tout son crédit.