Borderline: réfugiés, que peut la danse ?

Boderline, le spectacle présenté cette semaine à la Scène Nationale d’Orléans, interroge encore et toujours l’engagement de l’artiste dans la marche du monde. En choisissant d’évoquer le sort des réfugiés traversant, entre la vie et la mort, la Méditerranée, Borderline nous invite non pas à découvrir puisque traité assez souvent par les médias, mais plutôt à regarder ce drame humain d’une autre façon, à confronter l’affirmation de notre humanité à une réalité dans sa véritable dimension tragique. Ce choix place le spectacle dans une forme d’impossible représentation: raconter la vie à bord d’une embarcation de migrants prête à couler relève de l’irreprésentable au même titre que l’intérieur d’un camp de concentration.

Seul le texte prophétique (écrit en 2015) de l’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek, titré “Les Suppliants” en référence à Eschyle, permet de franchir cette porte du représentable en entrecroisant les récits imaginés de naufragés avec le “dit” sur les réfugiés de nous, citoyens européens, mais avec cette limite intrinsèque  à ce texte puissant et cruel, qui évoque Homère comme fondateur de notre civilisation: le récit de la guerre de Troie ne racontera jamais le point de vue des perdants que furent les troyens.

La mise en scène du texte se déroule dans deux espaces scéniques (qui ne fusionneront qu’en fin de spectacle lorsque danseurs et narrateurs se mêleront et/ou s’affronteront), au dessus de la scène un écran où sont projetées des sortes de selfies géants des quatre récitants néerlandophones, assis autour d’une table au bord du plateau, qui entrecroisent la lecture du texte, et en dessous de l’écran, un groupe de danseurs qui ouvrent le spectacle en supportant des poutres christiques puis forment des grappes humaines statiques dans une forme d’évocation du radeau de la Méduse. Puis, après une brève et curieuse séquence de danse “disco”, le plateau va se refermer en dressant trois murs noirs, symboles sans doute de tous les enfermements, physiques ou mentaux…

Mais, que ne suis-je flamand pour m’épargner cette gymnastique oculaire imposée par le sous titrage placé au sommet des cintres et dont le texte défile continument, rendant la perception de l’espace scénique plus qu’aléatoire? Certains critiques y ont vu une volonté de perturber les spectateurs… sauf les flamands. Pourquoi ne pas réadapter cette mise en scène en français si la volonté du metteur en scène est justement de sensibiliser les spectateurs, et particulièrement les nombreux jeunes présents ce soir, à ce drame contemporain ? On y gagnerait sans aucun doute en lisibilité. Comme avec ce gigantesque mur d’écrans  barrant le fond de la scène pour nous rappeler l’importance de l’image dans notre perception des réfugiés et souligner l’inscription de cet univers visuel dans notre culture picturale: à l’évidence l’abondance ne favorise pas vraiment la clarté du propos…

Finalement et comme en réponse à la question de l’engagement de l’artiste, le document de présentation du spectacle conclut: “C’est alors que l’impuissance de tous est palpable”

Gérard Poitou

Borderline

Un spectacle proposé par le Centre Chorégraphique National, le Centre Dramatique National et la Scène nationale d’Orléans.

Théâtre d’Orléans Boulevard Pierre Ségelle 45000 Orléans
Du jeudi 5 octobre au samedi 7 octobre

mise en scène Guy Cassiers
texte Elfriede Jelinek
traduction/dramaturgie Tom Kleijn
dramaturgie Dina Dooreman
chorégraphie Maud Le Pladec
comédiens: Katelijne Damen, Abke Haring, Han Kerckhoffs, Lukas Smolders
danseurs: Samuel Baidoo, Machias Bosschaerts, Pieter Desmet, Sarah Fife, Berta Fornell Serrat, Julia Godina Llorens, Aki Iwamoto, Daan Jaarsveld, Levente Lukacs, Hernan Manchebo Martinez, Alexa Moya Panksep, Marcus Alexander Roydes, Meike Stevens, Pauline Van Nuffel, Sandrine Wouters, Bianca Zueneli

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