Alors qu’Orléans vient de présenter la jeune fille qui représentera l’héroïne en mai 2018, la Fédération française de débat et d’éloquence avait rejoué le procès de Jeanne d’Arc le jeudi 1er février devant près de 700 personnes. Alors quel verdict pour Jeanne ?

Jeanne d’Arc au bûcher, de Hermann Stilke
C’est un procès inédit qui s’est tenu le 1er février dernier. Déjà, car il ne se tient pas dans un tribunal, mais dans une église, l’église Saint-Eustache à Paris en l’occurrence. Mais aussi parce que c’est une figure de l’Histoire de France qui est sur le banc des accusés, accusée pour des faits commis il y a près de 600 ans : Jeanne d’Arc.
La fédération française de débat et d’éloquence (FFDE) a en effet organisé un nouveau procès de la pucelle d’Orléans. Mais contrairement à celui qui s’est tenu à Rouen en 1431, qui a vu Jeanne condamnée au bûcher, elle était ici défendue par un avocat : Jeanne était représentée par l’avocat suisse Marc Bonnant, tandis que l’accusation était représentée par Jacques Trémolet de Villers, avocat et auteur de Jeanne d’Arc, le procès de Rouen. Près de 700 personnes étaient présentes sous la nef de Saint-Eustache – dont beaucoup d’étudiants en cursus de droit – venues assister à la fois à une joute oratoire entre deux ténors du barreau, mais aussi à un bel exercice de style pour les amateurs de la langue de Molière.
À l’accusation, Me Trémolet de Villers prend un malin plaisir à jouer le rôle de Jean d’Estivet, nommé en 1431 promoteur du procès de Rouen par l’évêque Cauchon, et qui rédigea le réquisitoire contre Jeanne. L’avocat donne la parole à l’un de ceux qui la condamnèrent à mort, et qui se verra à son tour condamné par l’Histoire. Tout d’abord en 1456, où Jeanne est réhabilitée à la suite de la révision du procès de Rouen : celui-ci et les conclusions qui en avaient été tirées, avaient été déclarés « nuls, non avenus, sans valeur ni effet ». Puis en 1909 et 1920, où Jeanne est respectivement béatifiée et canonisée, près de cinq siècles après sa mort.
Me Trémolet de Villers, dans la peau du bourreau qui voit son héritage détruit par la postérité, déclare alors « qu’après tout ce temps, il devrait y avoir prescription », méritant un certain « droit à l’oubli ». Dans sa conclusion, l’avocat se voit navré d’être qualifié de « faux docteur » par un auteur dont il tait le nom … mais qui n’est autre que Jacques Trémolet de Villers lui-même.
Jeanne d’Arc, femme au foyer
Quand vient le tour de la défense, Me Bonnant prend une tournure plus classique, mais non dénuée d’humour, en étudiant les différents crimes reprochés à Jeanne d’Arc. Ainsi, quand il est reproché à Jeanne d’entendre des voix, l’avocat lance alors : « Est-ce que nous aussi n’entendons pas des voix ? […] Les voix de notre conscience ; de notre surmoi pour être freudien ; de Jiminy Cricket pour être conforme à notre jeune audience ». Il ajoute que « si Dieu parla à Moïse au Sinaï, puis aux apôtres, il s’est fait bien silencieux depuis », venant alors à déclarer que « Dieu serait un délinquant en fuite ».
Finalement, pour Me Bonnant, ce n’est pas qu’on reprochait à Jeanne d’entendre des voix, mais que celle-ci, en tant que simple paysanne et fille du peuple, ne passe pas les canaux officiels. Pour les juges de Rouen, également hommes d’Église, c’était une remise en cause de l’ordre divin. Or, sur le rapport entre Dieu et l’ordre, l’avocat note que « Dieu est de droite, tandis que Jésus est de gauche. Cela peut arriver aux meilleures des familles ». Mais Me Bonnant ne s’amuse pas qu’à trivialiser le divin, mais aussi Jeanne elle-même, en concluant que « le 30 mai 1431, Jeanne d’Arc lance le concept de femme au foyer ».
Le jury, composé de Luc-Michel Nivôse, conseiller à la cour de cassation, et de Jean-Louis Debré, qui a été président l’Assemblée nationale puis du Conseil constitutionnel, a décidé de ne pas désigner de vainqueur à l’issue de la séance. Une égalité afin de rendre hommage aux deux rhétoriciens.
NPVS
Les photos et vidéos de l’événement seront disponibles sur
la page Facebook de la FFDE.