Il y a une décennie, deux historiens, Anthony Rowley et Fabrice d’Almeida, nous proposaient, sous ce titre stimulant, de réfléchir aux moments où l’histoire bascule, aux autres passés possibles auxquels nous avions échappé de peu. Sous cet angle de l’uchronie ou de l’histoire contrefactuelle, la fragilité de la trajectoire de la nation et du monde est
mieux ressentie, et le double péril de l’anachronisme et du récit téléologique écarté.
Par Pierre Allorant
Uchronie ou le pays de l’histoire contrefactuelle
Charles Martel défait a Poitiers, les rives de la Loire et de la Seine auraient-elles accueilli une civilisation à l’andalouse ? François 1er élu empereur du Saint-Empire contre Charles-Quint, et Martin Luther promu cardinal à Rome, l’Eglise catholique serait-elle parvenue à se réformer en conjurant les schismes ? Louis XVI réussissant sa fuite à Varennes, quel tour prend la Révolution française ? La monarchie constitutionnelle devient-elle pérenne en France comme chez beaucoup de ses voisins, ou bien attend-t-elle pour s’enraciner que Napoléon III évite le piège de Bismarck, la provocation et la « fake news » de la dépêche d’Ems en 1870 ?
L’histoire du XXe s. revisitée
Encore plus prêt de nous, un autre XXe s, moins sanglant et moins totalitaire, aurait-il pu advenir ? Si le « miracle de la Marne » ne se produit pas, la « Grande Guerre » se réduit au champ européen, l’Allemagne est victorieuse en quelques semaines, annexe Nancy et la Belgique, au prix de quelques centaines de milliers de morts. L’Europe évite le suicide démographique et financier. En Russie, Raspoutine parvient à instaurer une dictature orthodoxe et éradique les mouvants socialistes révolutionnaires ; les Etats-Unis n’interviennent pas, et ne peuvent devenir les créanciers du monde.
Même renversement des perspectives dans l’entre-deux-guerres : Churchill parvient au pouvoir dès 1938, à la suite de l’accélération de la maladie de Chamberlain; bien informé de l’impréparation et de l’infériorité matérielle du Reich, il intervient en Rhénanie avec la France pour sauver la démocratie tchécoslovaque et cette fermeté provoque le putsch de l’état-major allemand contre Hitler. Pas de Munich, pas de Blitzkrieg, pas de Solution finale. Hitler, après un nouveau séjour en prison, retourne à la peinture.
Sous les pavés de 68, une autre Ve République
Enfin, en mai 1968, l’hélicoptère de De Gaulle s’écrase à Baden-Baden, coup de massue qui conduit le pouvoir gaulliste orphelin à mentir à l’opinion sur ce drame : le président du Sénat, Gaston Monnerville, dénonce cette nouvelle forfaiture et fédère toutes les oppositions pour triompher de Pompidou et devenir le premier président de la République noir. Le « Kennedy français » JJSS lui succède en 1975 et libéralise la société, condamnant la gauche à l’opposition permanente et François Mitterrand à la retraite politique et à l’écriture à Latche.
La pastorale américaine
Si le jeu du « et si » est tant prisé des enfants, il a ses limites. Toutefois, relisons le beau roman, glaçant, du regretté Philip Roth qui retrace dans Le complot contre l’Amérique, l’élection du héros de l’aéronautique et pro-nazi Lindbergh à la Maison Blanche.
En sens inverse, on se prend à rêver, quand le destin électoral bascule de très peu, à une autre histoire qui aurait vu en 2000 L’Amérique écologiste de Gore prendre la tête de la lutte contre le réchauffement climatique, suivie de Mac-Cain qui relance le processus de paix au Proche et au Moyen-Orient, et, en 2016, de la présidence multilateraliste d’Hilary Clinton.
2017, année exotique
Comment ne pas songer à l’uchronie en se repassant le film, à l’invraisemblable scénario, de l’année électorale 2017 en France ? Comme le nez de Cléopatre, l’emploi fictif de Pénélope a changé la face du paysage politique français alors que le costume de président semblait promis à son mari qui ne s’imaginait guère mis en examen.
Mais remontons un peu dans le temps : François Hollande, au lendemain des attentats, au lieu de s’enferrer dans l’impasse de la déchéance de nationalité, prend la mesure des outrances clivantes de son premier ministre, qui s’exile en Catalogne. Il nomme le sémillant Macron à Matignon, recompose sa majorité en y associant le Modem de François Bayrou et prépare sa campagne sur le thème de la « France unie » contre le terrorisme, pour l’Europe, pour la modernisation de l’économie dans la préservation des acquis sociaux. Macron réussit à convaincre Hulot de poursuivre sa mission au ministère après la réussite de la conférence de Paris. On rejoue le match ? Face à ce bloc, Nicolas Sarkozy ne peine guère à persuader sa famille politique de le soutenir en un remake de 2012.
Et le monde du ballon, tourne-t-il rond ? Lucarne magique
À l’heure où s’ouvre le mondial de Poutine, une vague de souvenirs remonte, de l’Italie de Mussolini à l’Argentine de Videla, sans avoir besoin de convoquer Léni Riefenstahl à la caméra. Avant d’imaginer l’ambiance des relations en 2026 entre les trois co-organisateurs américains – mais la tornade Trump aura alors regagné le monde des « anges de la télé-réalité » qu’il n’aurait jamais dû quitter – risquons un moment d’égarement et projetons-nous vers le 15 juillet en mâtinant cette prospective d’un brin d’uchronie.

Après ses victoires de 1982 et 1986, et ses demi-finales triomphales contre l’Allemagne, la France va-t-elle décrocher sa 4e étoile, un « twist again à Moscou », terrassant les dragons allemands, brésiliens et espagnols ?
Capitaine de la sélection conduite par Zidane, Benzema y compte bien, et il a su imposer la présence de son ami Valbuena, non dans l’équipe, mais à l’analyse tactique des vidéos…
Trêve de rumeurs et fausses nouvelles, même au pays où règne l’ancien agent du KGB de RDA. Place aux artistes de tous pays, unissez-vous pour faire rêver les enfants de la planète ronde. Après Kopa, Platini, Zidane, place à Griezmann et M’bappé : donnez-vous la main, ce sera le pied, petit pas pour l’Homme, loin des sommes vertigineuses du mercato, grand pour le plaisir de l’Humanité, cette église cathodique en pleine étrange lucarne. Loin, si loin du naufrage moral de l’Aquarius.