Décidément, l’été est délicat en matière de renforcement de la dimension régalienne du président Macron : l’an dernier, c’était l’affrontement périlleux avec le chef d’état-major Pierre de Villiers qui menaçait de faire vaciller, aux yeux des militaires, sa légitimité de chef des armées, récemment acquise par la grâce du suffrage universel. Un an plus tard, très loin de l’euphorisante et victorieuse union sacrée de Moscou, le voici empêtré dans une stupide histoire de barbouzes qui provoque l’ire des policiers et des gendarmes et la stupéfaction des citoyens. Comme si nous étions revenus aux heures grises de la lutte contre l’OAS au début de la Republique gaullienne, actuellement bien rendue par la parodique et drolatique série « Au service de la France », ou plus prosaïquement aux agissements ridicules et inefficaces de la cellule élyséenne des gendarmes, non à Saint-Tropez, mais de l’affaire des « Irlandais de Vincennes » sous le premier septennat de François Mitterrand.
La main dans le SAC, Alexandre le bien malheureux
Bref, pour le dire dans le langage de Charles Pasqua, un connaisseur, Alexandre Benalla s’est fait prendre la main dans le SAC, ce Service d’Action Civique si mal nommé. La litanie des scandales en République est si riche que le prénom du désormais ancien conseiller sécurité à l’Elysée rappelle également l’affaire d’Etat la plus célèbre de la Troisième République de l’entre-deux-guerres, celle de l’escroc Alexandre dit Sacha Stavisky.
Sur le fond et le contexte, rien à voir entre les deux scandales, d’autant qu’à la suprématie du Parlement répond depuis 1958 la personnalisation présidentielle de la Cinquième République. Toutefois, ni les actes en question, ni les conséquences de la récupération politique orchestrée par des oppositions, miraculées en dépit de leur plein gré, ne sont à sous-estimer.
Les femmes, les jeunes et les réformes
Quel est en effet l’ampleur de ce gâchis ? S’il est encore difficile à évaluer en cours d’instruction judiciaire et avant les auditions des commissions d’enquête parlementaire, les ratés de la communication de crise ne doivent pas faire oublier la gravité de dérives aujourd’hui avérées. Chacun a-t-il bien à l’esprit que le jeune président réformateur qui a fait, si légitimement, de la lutte contre les violences faites aux femmes une grande cause nationale n’a pas jugé suffisant pour se séparer d’un conseiller qu’il traîne par les cheveux une jeune femme exerçant simplement son droit constitutionnel à manifester ? Que le chef de l’exécutif qui a multiplié depuis juin 2017 les chantiers de réforme à l’égard de la jeunesse (formation, orientation, parcoursup) compte non pas un, mais deux conseillers qui conçoivent la Sécurité comme le droit de tabasser un étudiant ? En ne les sanctionnant que trop peu et trop tard, Emmanuel Macron a sans doute gravement compromis sa capacité à mener demain à la hussarde de nouvelles réformes, en particulier sur les retraites.
Sûreté et dignité républicaines
Tout aussi grave, et l’ancien proche de Paul Ricoeur ne saurait l’ignorer, se moquer de l’autorité publique et du service public de la Sécurité en usurpant uniforme et attributs, et confondre protection des libertés et tabassage, c’est nuire gravement à la sécurité des citoyens et tout simplement, à la sécurité juridique, à l’application uniforme de la loi, cet acquis si précieux que nous fêtons chaque 14 juillet. Oui, M. le Président, la République est sans doute « inaltérable », mais la Sûreté est d’abord le premier des droits de l’Homme, celui qui conditionne l’exercice des autres libertés. Et, vous le savez bien, dans n’importe quelle démocratie, dans tout État de droit qui se respecte, votre ministre de l’Intérieur aurait immédiatement démissionné, avant d’être acculé à le faire demain, quand il sera trop tard – pour vous.
La Réforme institutionnelle contrariée
Ultime paradoxe : cette ténébreuse affaire, qui illustre cruellement l’amateurisme et le cloisonnement de certains cercles fort peu en état de marche, plombe au pire moment trois objectifs présidentiels : surfer sur le récent bonheur collectif pour remonter la pente de la popularité érodée ; renouer le lien avec la « France périphérique » en multipliant les déplacements hors des métropoles mondialisées ; enfin, réussir la réforme institutionnelle quitte a tordre le bras à des parlementaires promis au sacrifice humain d’un tiers de leurs membres.
Résultat ? Une opinion encore plus méfiante des entourages parisiens, des parlementaires remontés, y compris à la République en marche, au point de transformer leurs deux commissions des lois en commissions d’enquête parlementaire, et une équation de la réforme constitutionnelle encore plus douteuse à résoudre. La droite et la gauche en rêvaient « en même temps », M. Benalla l’a fait. Comment vendre désormais l’idée d’un surcroît nécessaire de présidentialisation du régime ? Il y a des jours comme cela, certains en viendraient presque à souhaiter une présidence normale.