Il a fallu 17 ans au journaliste Bertil Scali pour convaincre Edgar Feuchtwanger de lui raconter son histoire et d’en faire un livre avec sa collaboration. Dans cet ouvrage ce n’est pas un vieux monsieur qui parle et raconte son enfance mais un petit garçon qui décrit ce qu’il voit, ce qu’il vit et ce qu’il ressent C’est une partie importante de l’intérêt du texte mais pas la seule. Il y a aussi Hitler au quotidien, témoignage unique.
En 1929, à Munich qui n’est encore qu’un gros bourg en Bavière, un petit garçon juif de 5ans vit dans une famille allemande depuis toujours, munichoise depuis un siècle, aimante, aisée, composée d’intellectuels et d’artistes. Son père, Ludwig, est un éditeur de renom, son oncle Lion un écrivain, une autre oncle, musicien, travaille avec Richard Strauss.
800.000 exemplaires de Mein Kampf
Mais un nouveau voisin vient s’installer dans la maison d’en face désormais gardée par des hommes en arme. Sur la boîte aux lettres figure le nom de Winter, celui de la femme de ménage. Sous ce pseudonyme se cache Hitler qui, enrichi par ses droits d’auteur de “Mein Kampf”, le manifeste nazi (on estime qu’au total il s’en est vendu 80 000 000 d’exemplaires), a quitté sa petite chambre des faubourgs pour un appartement bourgeois. Les Feuchtwanger sont aux première loges. Comme beaucoup d’Allemands raisonnables, ils ne prennent pas leur vociférant voisin au sérieux et estiment que son mouvement fera long feu.
Des croix gammés dans ses cahiers
Mais, sous l’effet de la crise économique , ce rustre s’impose aux classes moyennes. L’oncle Lion choisit se moment pour publier “Ertoig” un roman à clé dans lequel tout le monde reconnait Hitler qui, devenu chancelier, ordonne que l’on brûle les livres de Lion Feuchtwanger. Celui-ci en voyage aux USA juge prudent d’y rester.
A l’école où il n’est pas l’objet de discrimination le petit Edgar dessine des croix gammées dans ses cahiers. En 1936, après l’adoption des lois sur “la protection du sang et de l’honneur allemand”, tout bascule. Ses parents deviennent des citoyens de seconde zone, il est interdit à son père d’exercer son métier, plus personne n’ose les inviter. Les Feuchtwanger ont du mal à se rédoudre à quitter l’Allemagne. Ils finissent par partir pour la Grande-Bretagne en 1939. Edgar y devient un brillant professeur d’histoire et y vit toujours.
Françoise Cariès
“Hitler, mon voisin”
Editions Michel Lafon
240 pages 18,5 euros